Lisette Oropesa (Adina) et Étienne Dupuis (Belcore).


Depuis sa création en mai 2006 à l’Opéra Bastille, c'est la cinquième reprise de L’Élixir d’amour dans la mise en scène de Laurent Pelly (après celle d’octobre 2006, puis celles de 2007, 2009 et 2015). C’est donc un spectacle bien rodé qui est à nouveau présenté cette année mais qui, indéniablement, plaît toujours autant pour connaître une telle longévité, depuis plus de dix ans maintenant.

Le rideau s'ouvre dans un décor champêtre évoquant l'Italie des années 1950. Allongée au milieu d’une immense pyramide de meules de foin (plus qu'un décor, elle sera une véritable aire de jeu pour les chanteurs), la belle et riche fermière Adina se complaît, alanguie, dans la lecture de son roman, lorsque la figure naïve de Nemorino apparaît soudainement de derrière l’une des meules. Épiant avec un espoir vain l'objet de son amour, le jeune villageois candide rappelle ces nombreux héros malheureux guettant leur belle en se berçant d’illusions, depuis le Quasimodo d’Hugo jusqu’à l’Ugolin de Pagnol. Heureusement pour notre jeune homme, son destin ne sera pas aussi tragique puisqu'il s'agit ici d'un melodramma giocoso. La musique légère de Donizetti, portée par une mise en scène à l’humour prometteur, est là pour nous rappeler que tout finira bien.

Les productions précédentes disposaient déjà toutes d’une très bonne distribution vocale, et celle-ci n’est pas en reste. La première scène nous présente d’emblée le duo des amoureux avec des protagonistes à la hauteur de nos attentes. De sa très belle voix de soprano, claire mais suave, la jeune américaine Lisette Oropesa campe une pétillante Adina, à l’opposé de son rôle de Marguerite de Valois dans Les Huguenots de Meyerbeer qu’elle vient tout juste de quitter. D’une grande précision dans la justesse, puissante dans tous les registres de sa tessiture, on la voudrait pourtant plus « capricieuse » vocalement, à l'image du personnage qu'elle incarne : le jeu de scène est là, parfait, mais la voix est parfois trop sage et manque un peu de nuances. On aurait souhaité que la chanteuse s'amuse davantage, quitte à prendre quelques risques, pour nous proposer différentes facettes de son organe vocal qu’elle maîtrise parfaitement, à n’en point douter.  

De son côté, Vittorio Grigolo s’empare de la scène avec son interprétation jouissive du benêt éperdu d'amour, caricatural à souhait, mais avec cette tendresse candide qui évite le ridicule. Sa voix, impeccable, offre les belles nuances et les soufflets expressifs qui font défaut à sa partenaire féminine.

Arrive alors le charismatique Étienne Dupuis, surgissant au sommet de la pyramide de foin. Si l’on peut détecter une puissance vocale parfois un peu faible et quelques imprécisions dans ses vocalises, sans doute dues à ses acrobaties dans les meules de foin (le chanteur se paye au passage une ou deux cascades heureusement bien rodées !), son interprétation du sergent Belcore, fat et trop sûr de lui, nous fait vite oublier ces petites imperfections. D’autant que le baryton sera par la suite irréprochable.

Autour de ce charmant trio, le chœur est impeccable, juste et parfaitement en place. Il renvoie l’image d’une troupe de joyeux lurons, complices, à l’affût des derniers commérages et toujours prêts à faire la fête. La mise en scène donne aux choristes l’occasion de nous offrir par moments quelques détails croustillants (qui croque sa pomme, qui se gratte ostensiblement le derrière…) que l’on se délecte à observer. 

Petite baisse de régime dans la deuxième partie de l'acte I qui s'ouvre sur l'arrivée du docteur Dulcamara. On craint un moment pour la suite de l’opéra avec l'entrée de Gabriele Viviani. Le baryton a du mal à trouver sa justesse et n'est pas toujours en place dans son air « Udite, udite, o rustici » qui ne souffre malheureusement pas l’imprécision. Dans la fosse, l’orchestre dirigé par Giacomo Sagripanti offre une très bonne prestation depuis le début de la représentation, mais cette deuxième partie perd là aussi de sa qualité. Alors que la musique manque un peu d’inertie au début de la scène 4, les musiciens ont tendance par la suite à être légèrement en avance sur les chanteurs, en particulier dans les numéros d’ensemble. Mais heureusement, la mise en scène continue à nous divertir de ses petits clins d'œil pleins d'humour (un chien qui traverse la scène, le papier toilette collé à la chaussure d'un choriste…), jusqu'au rideau de scène parsemé de publicités dans le style de l’époque pour médecines de charlatans en tout genre. Sans compter les quelques effets pyrotechniques sur la camionnette du docteur, sans réelle utilité scénique mais plaisants à voir.

Tout va beaucoup mieux dans le deuxième acte, s'ouvrant sur le banquet des futures noces. Gabriele Viviani retrouve toute sa précision vocale et irradie dans cette scène d’introduction avec sa canzonetta « Io son ricco, e tu sei bella », jouant un docteur coquin plus que jamais. Vittorio Grigolo est, quant à lui, totalement déchaîné lorsqu’il campe son Nemorino pris de boisson. Son air sublime « Una furtiva lagrima », véritable instant de poésie illuminé par les « étoiles » (de petits spots lumineux descendus du ciel), lui vaudra les longs applaudissements du public. Dans la scène suivante, Lisette Oropesa montrera toute la mesure de son talent avec un contre-ut d'une très belle justesse dans le duo « Prendi, per me sei libero ». De son côté, en Giannetta, la jeune Adriana Gonzalez se place en rivale de taille malgré son rôle relativement court, essentiellement présent dans les scènes de chœur où elle sait s’imposer en chef de groupe. Dans ce deuxième acte, Giacomo Sagripanti retrouve la pleine maîtrise de l’orchestre : on le voit attentif et volontaire, accompagnant les chanteurs avec précision. La mise en scène nous réserve toujours quelques pépites (à l’image du personnage facétieux qui dévoile son fessier au moment de la photo de groupe avec les futurs mariés) et le jeu de lumières, très réussi, nous dépeint joliment les étapes successives de la journée, depuis le plein soleil d’été jusqu’à la tombée de la nuit.

C’est donc une reprise à nouveau réussie de cette mise en scène de Laurent Pelly, avec une distribution talentueuse et une énergie communicative. Gageons qu’elle saura revenir à l’affiche prochainement.

Floriane Goubault.

À lire : notre édition consacrée à L’Élixir d’amour / L’Avant-Scène Opéra n° 288


Vittorio Grigolo (Nemorino).
Photos : Guergana Damianova / OnP.