Paris, Bleu nuit éditeur, coll. « horizons », 2017, 176 p.
Devant l'indigence de la bibliographie consacrée à Meyerbeer, comment ne pas accueillir avec enthousiasme tout nouveau livre consacré au compositeur des Huguenots et du Prophète ? Car si - depuis la reprise de Robert le diable au Palais Garnier en 1985 - un catalogue d'exposition publié par la Bibliothèque nationale (direction Martine Kahane), les travaux de Marie-Hélène Coudroy et deux (bientôt trois) numéros de L'Avant-Scène Opéra ont contribué à mieux faire connaître le musicien, on attend toujours un ouvrage de référence en langue française qui offrira une synthèse sur la vie et l'œuvre du musicien. À défaut de cette synthèse à laquelle le format relativement modeste de la collection « horizons » des éditions bleu nuit ne peut certes pas prétendre, on attendait néanmoins une étude solide, bien documentée et qu'on puisse recommander sans hésitation au néophyte comme au passionné de Meyerbeer. L'honnêteté nous oblige malheureusement à prévenir le lecteur éventuel du flagrant manque de rigueur dont souffre le livre de Violaine Anger.
Comment expliquer qu'une musicologue, par surcroît auteur de plusieurs volumes, ait pu publier un texte à ce point truffé d'erreurs ? On se demande d'abord à quoi bon inclure une chronologie si c'est pour faire naître Rossini en 1791, Berlioz en 1802 et Jules Verne en 1841. Par ailleurs, on est pour le moins surpris de lire que les Parisiens ont entendu Norma dès 1830 (soit avant même la création à la Scala en 1831 !), que Daguerre aurait collaboré avec Ciceri pour les décors de Robert le diable (alors qu'il avait quitté l'Opéra en 1822), que l'Opéra-Comique (et non le théâtre de la Renaissance) aurait eu le projet de monter La Défense d'aimer de Wagner en 1840 et que La Muette de Portici se termine bien ! La plume fantaisiste de Violaine Anger attribue en outre à Barbier et Carré (et non à Louis Gallet) l'invention de la « prose mélique », ajoute le saxophone à l'orchestre du Prophète et fait allusion à un compositeur nommé Rossinot qui aurait fait créer un opéra à la Salle Le Peletier en 1852. Vérification faite, il s'agit du Rossignol de Louis-Sébastien Lebrun, que l'Opéra créa en... 1816 ! Face à un tel florilège, le lecteur en vient à douter de la moindre assertion et ne peut que remettre en question le sérieux de la recherche.
On ne saurait évidemment pas reprocher à l'auteur son enthousiasme ni lui faire grief d'insister sur la place fondamentale qu'occupe Meyerbeer dans la musique du XIXe siècle. Violaine Anger se laisse toutefois emporter par son sujet lorsqu'elle affirme dans l'introduction que, grâce au compositeur, nous pouvons comprendre « la logique profonde qui unit le Romantisme de l'Empire, l'opéra et le cinéma, l'art pompier et l'"Art" absolu ». Comment ne pas s'étonner également lorsqu'elle prétend que Robert le diable ouvre la voie à la théorie de l'inconscient et que tous les personnages de cet opéra ont lu Sade ? Quand on sait à quel point Tchaïkovski a été marqué par Sylvia de Delibes, il est permis d'autre part de s'étonner de lire que La Belle au bois dormant et Casse-noisette « descendent directement » du ballet des Patineurs (au troisième acte du Prophète). N'est-il pas un peu facile, voire discutable, de dire que la cavatine d'Isabelle « Robert, toi que j'aime » annonce « Vissi d'arte » et que Robert lui-même est une préfiguration de Scarpia ? Et s'il est juste d'insister sur le pessimisme de plusieurs opéras de Meyerbeer, on ne peut souscrire à la thèse de Violaine Anger, selon laquelle Les Huguenots inventent le « finale sacrificiel » et rendent désormais nécessaires les fins tragiques. Pour ne citer que quelques exemples, Médée (1797) de Cherubini, Otello (1816) de Rossini, La Muette de Portici (1828) d'Auber ou Anna Bolena (1830) de Donizetti avaient déjà indiqué la voie à suivre...
Reflet de ce travail bâclé, la bibliographie laisse pantois, car elle indique par exemple le nom d'Alain Duault comme auteur du numéro de L'Avant-Scène Opéra consacré à Robert le diable, alors qu'il signe uniquement le texte de présentation. De même, pourquoi avoir inclus Les Cancans de l'Opéra et non pas le livre de Jean-Claude Yon Eugène Scribe, la fortune et la liberté, que l'auteur cite abondamment, et à juste titre, dans le chapitre portant sur le librettiste attitré du compositeur ? Il aurait aussi été bon d'ajouter les études incontournables d'Anselm Gerhard (The Urbanization of Opera: Music Theater in Paris in the Nineteenth Century), de Jane Fulcher (Le Grand Opéra en France : un art politique, 1820-1870) et The Cambridge Companion to Grand Opera dirigé par David Charlton. En somme, c'est bien plutôt dans ces différents ouvrages que le lecteur avide de mieux connaître Meyerbeer trouvera matière à nourrir sa réflexion.
L.B.