CD Les Arts Florissants Editions 1. Notice accompagnée d'un texte inédit de Jean Echenoz, « A Babylone ». Distr. Harmonia Mundi.
Les Arts Florissants, comme beaucoup d'artistes lâchés par des majors en difficulté, créent leur propre label : c'est une bonne nouvelle, un gage de réactivité, un signe de vitalité. Mais pourquoi aborder cette aventure avec un titre qui leur sied mal et n'est que depuis fort peu de temps à leur « répertoire » ? L'aimable Christie, qui n'est jamais aussi à l'aise que lorsqu'il peut choyer ses solistes en petit comité, achoppe sur cette terrible fresque biblique (1745), où se joue le destin de trois peuples (hébreux, babylonien et perse), chacun guidé par un chef charismatique (le prophète Daniel, le roi Balthazar, le prince Cyrus). Si sa direction ne manque ni d'animation, ni d'humanité, elle se refuse à cet élan, fermement ancré dans la terre et portant vers l'horizon, à ce sostenuto, à cette tension qui, seuls, peuvent donner vie aux saisissants récits accompagnés dont regorge cette partition « pré-gluckiste » (écoutez le monologue introductif de Nitocris, décousu, le songe de Cyrus, bien plat). Son orchestre est séduisant, mais doté de cordes guère incisives (Allegro de l'ouverture) et le choix de le faire parfois jouer en concertino se défendrait beaucoup mieux dans une œuvre agreste telle que Susanna (dont il existe en outre très peu d'enregistrements). Et que vient faire, soudain, ce hautbois solo, comme échappé des cantates de jeunesse, dans la mystique sicilienne « Regard, o son » ? Le chœur lui-même, tant sollicité ici, sonne pâteux, presque trop lourd, malgré ses trente membres, peut-être à cause de la prise de son réverbérée, et si ses pupitres sont bien caractérisés et ses teintes charnelles, ses sopranos doivent gagner en soutien. Côté personnages, on n'est guère mieux servi, surtout dans le clan perse, avec en Cyrus une mezzo bien terne et en Gobrias l'une de ces basses engorgées dont les baroqueux semblent actuellement raffoler, tandis que le contre-ténor Davies gazouille ses prophéties fort joliment mais sans beaucoup de grandeur. Les choses s'arrangent avec les Babyloniens : Joshua reprend avec ferveur la partie qu'elle tenait chez Jacobs, réussissant le plus souvent (sauf dans le duo final) à dompter son vibrato rebelle, et le ténor Clayton, malgré un timbre sec et une émission un peu haut placée, sait rendre expressif son rôle de sybarite sans pour autant savonner ses ornements. La discographie, assez maigre, n'est donc point bouleversée : en tête, le visionnaire Harnoncourt (Teldec, 1976), suivi, pour ses solistes, d'un Pinnock beaucoup plus neutre (Archiv, 1991) et, en DVD, d'un Jacobs très opératique (HM, 2011).
O.R.