Amel Brahim-Djelloul, Virginie Pochon, Caroline Mutel (sopranos), Karine Deshayes (mezzo-soprano), Anders Dahlin (ténor), Pierre-Yves Pruvot, Jean-Sébastien Bou (barytons). Les Nouveaux Caractères, dir. Sébastien d'Hérin (2013).
CD Glossa 922701. Distr. Harmonia Mundi.

Alleluia ! Deux fois Alleluia ! D'abord parce que voici enfin enregistré le dernier des opéras-ballets de Rameau à nous faire, au disque, encore défaut - le dernier, d'ailleurs, à avoir été édité de son vivant. Depuis Les Fêtes d'Hébé révélées par Christie en 1997 (Erato), on n'avait pas vu paraître d'intégrale ramiste d'importance, si l'on excepte quelques « actes de ballet » isolés. Parmi ces derniers, certains sont d'ailleurs liés à l'histoire complexe des Surprises, qui connurent quatre moutures entre 1748 et 1757 : c'est la dernière qui est ici donnée, sans le Prologue de la version de 1748, sans l'acte des Sybarites de 1757 (enregistré par Le Concert de L'Hostel-Dieu, chez Pierre Vérany), mais avec le célèbre Anacréon (qui a mené, tant à l'époque que de nos jours, une « carrière » indépendante) et les entrées L'Enlèvement d'Adonis et La Lyre enchantée. Comme souvent, le livret de cette œuvre à sketchs - dû à Gentil-Bernard, l'auteur de Castor - apparaît des plus piteux, chacun des trois « actes » réitérant la même situation : celle d'un amant peu vaillant écartelé entre deux déesses (Vénus et Diane dans Adonis), une muse et une sirène (dans La Lyre), Bacchus et l'Amour (dans Anacréon). Mais le génial Dijonnais transcende ce chichiteux prétexte par une musique scintillante, toute de plumes et de brocart, riche en « danses figurées », harmonies envoûtantes, arias italianisantes et instrumentation kaléidoscopique.

Et l'on en vient à notre second « Alleluia », qui salue l'une des plus idiomatiques interprétations de cette musique qu'il nous ait été donné d'entendre depuis Gardiner. Quel naturel, quel lyrisme, quel raffinement délié dans le geste de Sébastien d'Hérin, jusqu'ici surtout connu pour son travail de continuiste et de chef de chant ! Dès l'Ouverture, aussi apparemment spontanée que finement ciselée, d'Hérin l'emporte sur le pourtant prestigieux précédent de Minkowski (Suite des Surprises de l'Amour, Erato 1990), offrant un étagement des plans sonores plus évident (premier mouvement), un dessin du rythme plus subtil (extraordinaire bien que bref second mouvement), un panel dynamique plus large. Capable d'intensifier progressivement une ambiance, une chorégraphie (Gavotte pour les Grâces) tout autant que d'emporter vigoureusement une réjouissance (le swing très sexy de « Dieu cruel » ou des contredanses), il s'avère surtout expert dans l'art de gérer les tensions-détentes (superbe dialogue de l'Amour et d'Anacréon), de faire respirer les phrases (enchantement de Parthénope) et d'habiter ces surnaturels silences qui font tout le charme de Rameau (« sommeils » d'Endymion et d'Anacréon). Son orchestre d'une vingtaine de musiciens le suit au quart de tour et seuls le « chœur » de douze solistes, peu probant, et l'équipe vocale, à la diction perfectible, tempèrent notre enthousiasme. Exceptons-en Jean-Sébastien Bou, Anacréon exemplaire de fausse lassitude, ainsi que Caroline Mutel, vaillante dans les ariettes de Vénus et de l'Amour - mais regrettons que Karine Deshayes, Uranie et Prêtresse convaincantes, peine dans les écarts de Diane et soigne si peu ses voyelles, que Virginie Pochon appuie son émission au point de paraître toujours chanter droit et trop haut, et que les messieurs soient si fades. Broutilles : tout Rameau, ou presque, est désormais dans les bacs, et une nouvelle baguette magique est née !

O.R.