Violette Polchi (Caprice), Sheva Tehoval (Fantasia), Matthieu Lécroart (V'lan), Pierre Derhet (Quipasseparla), Raphaël Brémard (Microscope), Thibaud Desplantes (Cosmos), Marie Lenormand (Popotte), Christophe Poncet de Solages (Cactus), Ludivine Gombert (Flamma/Adja). Chœur et Orchestre national Montpellier Occitanie, dir. Pierre Dumoussaud (2-4 septembre 2021).
Palazzetto Bru Zane 1048 (2 CD). 2021. Articles et livret en français et en anglais. Distr. Opus 64.
Voici enfin la première intégrale de l'opéra-féerie Le Voyage dans la Lune, dont la discographie, outre quelques extraits disséminés dans divers albums, se limitait jusqu'ici à deux versions cruellement tronquées : celles de Paul Burkhard (Line Music/Cantus Classicus, 1958) et de Jean-Paul Kreder (Malibran, 1961). Ces deux enregistrements possèdent également le tort de contrevenir à la volonté d'Offenbach puisqu'ils affichent en prince Caprice non pas une soprano mais un ténor. Le personnage appartient en effet à une vaste galerie de jeunes héros à peine sortis de l'adolescence que le compositeur a confiés à la voix féminine, à l'instar d'Oreste (La Belle Hélène), Fragoletto (Les Brigands), Gustave (Pomme d'Api) et Nicklausse (Les Contes d'Hoffmann). En plus de rétablir comme il se doit la tessiture originale du rôle, le coffret du Palazzetto Bru Zane inclut deux brefs morceaux inédits au début du deuxième acte et fait entendre une version écourtée des copieux dialogues de Vanloo, Leterrier et Mortier (présents bien sûr in extenso dans le numéro 319 de L'Avant-Scène Opéra).
Si le travail musicologique de l'équipe du Palazzetto Bru Zane est exemplaire, on sera tout aussi élogieux pour la direction de Pierre Dumoussaud, qui confère beaucoup de tonus à une partition qu'on ne saurait ranger parmi les chefs-d'œuvre du compositeur, mais qui comprend néanmoins de fort beaux airs destinés aux jeunes premiers (Caprice et Fantasia) et de superbes passages orchestraux, comme l'ouverture, les deux ballets et le « mélodrame » du quatrième acte évoquant l'éruption d'un volcan. À la tête de l'Orchestre national Montpellier Occitanie, le chef fait ressortir avec éloquence la finesse, les riches couleurs et la puissance expressive d'une orchestration particulièrement soignée. Le chœur s'acquitte très bien de sa tâche, mais aurait gagné à être plus étoffé, en particulier dans le majestueux « Clair de Terre » qui conclut l'ouvrage en apothéose. Très à l'aise dans les dialogues, la distribution se coule avec bonheur dans cette pièce fantaisiste où les Sélénites découvrent l'amour en mangeant des pommes et vendent leurs femmes aux enchères... Créé par la fameuse Zulma Bouffar, le prince Caprice est non seulement rêveur, fantasque et passionnément amoureux, mais doit faire valoir de surcroît ses talents de bonimenteur dans la « ronde des charlatans » de la scène du marché. Interprète sensible, Violette Polchi chante joliment, d'une voix cependant un peu petite et au vibrato assez prononcé qui n'arrive pas pleinement à s'épanouir dans la valse « Monde charmant » ou les duos d'amour avec Fantasia. En revanche, son timbre se marie bien avec celui de Sheva Tehoval, princesse délicate au timbre un rien pointu et aux aigus parfois difficultueux, notamment dans l'ariette « Je suis nerveuse ». Matthieu Lécroart et Thibaud Desplantes, au chant solide, campent d'amusants rois V'lan et Cosmos, que secondent bien le Microscope de Raphaël Brémard, la reine Popotte de Marie Lenormand et le Cactus de Christophe Poncet de Solages. Alors que le Quipasseparla peu assuré de Pierre Derhet manque de jactance, la Flamma de Ludivine Gombert s'avère tout à fait délicieuse. Après cette importante parution, espérons que Le Roi Carotte (1872) – l'autre grande féerie d'Offenbach avec la seconde version d'Orphée aux Enfers (1874) –, puisse bientôt être immortalisé à son tour par les soins du Palazzetto Bru Zane.
Louis Bilodeau