Joyce El-Khoury (Mirra), Airam Hernandez (Sardanapalo), Oleksandr Pushniak (Beleso), Opera Chorus Nationaltheater Weimar, Staatskapelle Weimar, dir. Kirill Karabits (2018).
Audite 97764. Notice en angl. et fr. Distr. DistrArt Musique.
On croyait perdu le seul essai lyrique avéré de Liszt, inspiré si peu par Byron ou plutôt par le livret sans puissance d’une plume restée anonyme qu’on suppose celle de la Princesse Cristina Belgiojoso, dont le virtuose fréquentait alors l’alcôve, qu’il en resta à trois scènes. Puis l’année passée le manuscrit refit surface au détour d’un rayonnage de la bibliothèque de Weimar, avait-on trouvé les esquisses d’un chef-d’œuvre ? Liszt ne fut pas avare en projets d’opéras jamais menés à terme, cherchant vainement son inspiration chez Walter Scott (Richard of Palestine), Goethe (Marguerite) ou Sand (Consuelo), entre autres. Le matériau parcellaire de Sardanapalo, même assemblé avec soin par David Tippett, interdit d’y croire : le style recitativo inspiré de Wagner s’encombre dans un italien qui n’est pas la langue vocale de Liszt – elle fleurira bien mieux sur l’allemand de ses lieder - mais il inspire au pianiste féru d’opéra l’idée d’adjoindre l’orchestre à la voix dans une proximité qui fait un ensemble expressif plus d’une fois étonnant. Sommet de ces quarante minutes de musique sans véritable impact dramatique, la grande deuxième scène : harpe bellinienne, phrase verdienne, un saisissant précipité de belcanto comme venu d’une autre planète où Liszt maltraite le soprano de Mirra. Joyce El-Khoury, de son timbre plein de caractère, de sa grande voix de pur théâtre italien, en magnifie les inventions stupéfiantes, surmontant les épreuves inhumaines que l’écriture lui impose. Pour ce moment, qui prouve que si Liszt l’avait un peu plus voulu il aurait eu ici autant à dire qu’à son piano et à son orchestre, la découverte vaut la peine, d’autant que Kirill Karabits croit à l’ouvrage, l’enflamme, comme les deux voix masculines qui ont pourtant si peu d’espace pour affirmer leurs personnages.
Jean-Charles Hoffelé