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Mikhail Kolelishvili (Mendoza) et Brian Galliford (Don Jérôme).


Créée le 11 janvier dernier au Théâtre du Capitole de Toulouse, la production dirigée par Tugan Sokhiev et mise en sccène par Martin Duncan a fait un triomphe lors de sa présentation à l’Opéra-Comique, une soirée qui constituait la première représentation parisienne de cette œuvre méconnue en France. L’opéra buffa de Prokofiev, créé à Saint-Pétersbourg (alors Leningrad) en 1946, est pourtant un bijou du genre.

Sa source, La Duègne de R.B. Sheridan, se présente comme un héritage bien pensé de Beaumarchais, plante le décor d’une Séville fantasque propre aux quiproquos amoureux les plus audacieux, et réutilise avec bonheur les types intemporels de la pupille à marier, du barbon irascible et du jeune amant évaporé. Elle les dédouble même avec brio, croisant deux couples d’amoureux complémentaires, l’un mutin et réactif (Louisa et Antonio), l’autre plus songeur et inquiet (Clara et Ferdinand) et qui prend volontiers les attitudes de la passion fatale, selon un décalage de ton tout à fait délicieux. Le barbon est double aussi, l’un père dépassé et volubile (Don Jérôme), l’autre marchand adipeux et cocasse (Mendoza). Ajoutez une nourrice dévergondée, un couvent – qui ne fait que passer – et quelques moines portés sur la bouteille, et vous obtenez une farce joyeuse et folle.

La partition, remplie d’humour et de lyrisme, de couleurs et de rythme, de poésie aussi, enchaîne sans temps mort les tableaux vivants, les ambiances nocturnes, les monologues drolatiques, et permet un théâtre vif et onirique, façon commedia dell’arte. C’est ce qu’ont bien senti le metteur en scène Martin Duncan, le chorégraphe Ben Wright et la scénographe Alison Chitty. Avec des costumes années 20 aux coloris acidulés, un décor constructiviste qui dérègle le réalisme en une mécanique de portes et de chaises démultipliées, un ballet de masques (la partition met la danse à l’honneur) mi-lutins mi-carnavalesques – en tout cas fluo et plein de peps –, la direction d’acteurs qui assume avec bonheur le vaudeville, premier et second degrés mêlés. Seule la scène des moines, que Duncan conserve outrancière à l’instar de l’anticléricalisme caricatural de Leningrad-1946, laisse plus dubitatif que souriant.

Il faut dire que le plateau nécessite un travail au cordeau : pas moins de 16 personnages, plus les chœurs et le ballet, et l’orchestre de Prokofiev bien sûr qui envahit les loges autour de la fosse de l’Opéra-Comique et, sous la baguette de Sokhiev et dans cette acoustique favorable qu’il emplit totalement, donne une vision très pêchue de la partition. En Don Jérôme, Brian Galliford stupéfie par l’aisance de son russe parlé et chanté, à la verve couinante ou grinçante, tonnante ou miaulante. Un plaisir de théâtre, comme avec la duègne excentrique de Larissa Diadkova et l’archétypale basse russe de Mikhail Kolelishvili, ici truculent bateleur en Mendoza. Probablement la voix la plus épanouie du plateau, Anna Kiknadze a justement l’ampleur nécessaire à sa Clara romantique, presque straussienne parfois. Les deux amants sont très honorables mais parfois un peu courts (l’Antonio de Daniil Shtoda, malgré une jolie sérénade) ou mats (le Ferdinand de Garry Magee). Rôle sans doute le plus porteur par son espièglerie et sa grâce, la Louisa d’Anastasia Kalagina remporte tous les suffrages : le timbre est lumineux, le chant bien tenu, toujours net dans le pétulant comme dans l’élégiaque ; le charme du phrasé et celui de la chanteuse font le reste.

Le Capitole et l’Opéra-Comique ont judicieusement programmé et brillamment réussi ces Fiançailles. A quand le mariage de l’œuvre avec le répertoire et le public français ?!

C.C.
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Anna Kiknadze (Clara) et Anastasia Kalagina (Louisa).

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Photos Patrice Nin / Opéra-Comique, Paris.