Grigory Soloviov.
Pour sa quinzième édition, le traditionnel Gala de l'Opéra de Montréal a présenté à la Salle Wilfrid-Pelletier un concert réunissant le chef Paul Nadler, l'Orchestre métropolitain, le Chœur de l'Opéra de Montréal et quatorze chanteurs du Canada, des États-Unis, de Russie et des Pays-Bas. À l'occasion de cette célébration annuelle de l'art lyrique, le public a ainsi l'occasion soit de réentendre des artistes déjà consacrés ou bien de découvrir des chanteurs qui, espérons-le, reviendront un jour dans la métropole québécoise. Chacun de ces galas débute par l'intronisation au Panthéon canadien de l'art lyrique d'une personnalité ayant marqué de façon significative la scène opératique. Aux légendaires Emma Albani, Raoul Jobin, Edward Johnson ou George London, s'est joint cette année le nom de la mezzo québécoise Gabrielle Lavigne, qui s'illustra essentiellement sur les scènes du Canada dans les années 1970 et 1980. Après cette brève cérémonie, la fin du prologue de Mefistofele de Boito, opéra que la compagnie avait monté avec grand succès en 2001, marqua le coup d'envoi des festivités. Si musiciens et choristes mirent du temps avant de s'échauffer, les derniers instants furent grandioses.
Sans passer en revue les vingt-trois airs, ensembles et chœurs empruntés pour la quasi-totalité aux répertoires italien et français et dont l'intérêt variait grandement de l'un à l'autre, il convient de mettre l'accent sur les meilleurs moments du concert. À ce titre, Dana Beth Miller, mezzo-soprano américaine, fait figure de révélation. Pour ses débuts à la compagnie, elle fut d'abord une princesse de Bouillon véhémente (« Acerba volutta », Adriana Lecouvreur), une Maddalena coquine à souhait dans le quatuor de Rigoletto et enfin une redoutable Laura dans le duo du deuxième acte de La Gioconda. En plus d'une somptueuse voix homogène et puissante sur tout le registre, elle possède un rayonnement scénique exceptionnel. Comment s'étonner dès lors que son agenda la mènera bientôt au Met et à San Francisco, Chicago, Seattle, Dallas... Autre nom à surveiller, la basse russe Grigory Soloviov qui donna un vibrant « Il lacerato spirito » (Simon Boccanegra) et qui fera ses débuts au Festival d'Aix-en-Provence l'été prochain dans Acis et Galatée de Haendel.
Parmi les artistes déjà appréciés du public montréalais, Julie Boulianne se distingua dans le trio « Soave sia il vento » de Così fan tutte puis surtout dans son éblouissante scène finale de La Cenerentola, où la virtuosité est mise au service d'une émotion à fleur de peau. Malgré un léger problème d'intonation, Manon Feubel campa une ardente Wally (« Né mai dunque avrò pace ») puis une Leonora en parfait contrôle de sa voix dans le « Misere » du Trouvère. L'air de Nilakhanta au deuxième acte de Lakmé trouva en Alexandre Sylvestre un interprète inspiré, à la voix idéale pour le rôle et au français impeccable. S'il ne semblait pas en grande forme dans le duo de Pagliacci, Étienne Dupuis s'est bien repris dans la scène du deuxième acte de Falstaff. Cela dit, le baryton aurait tout intérêt à ne pas choisir de rôles trop lourds pour lui. Cette remarque vaut également pour le ténor Antoine Bélanger, au style châtié et à la belle voix claire, mais qui, plutôt que de se lancer dans « Ô souverain, ô juge, ô père » du Cid, aurait dû choisir un extrait plus en conformité avec ses moyens, comme l'air de Nadir au premier acte des Pêcheurs de perles. Marie-Josée Lord, Nedda sensuelle puis Santuzza intense, fait entendre une voix richement timbrée au vibrato cependant excessif et aux aigus difficultueux. La Canadienne Lara Cieckiewicz, enfin, ne maîtrise sans doute pas totalemement les exigences de Manon (« Je suis encore toute étourdie »), mais quelle présence rayonnante dans ce rôle de Massenet et quelle émotion en Gilda dans le quatuor de Rigoletto ! Le chef Nadler dirigea avec application l'orchestre et le chœur qui s'acquittèrent très correctement de leur tâche tout au long de ce programme généreux.
L.B.
Manon Feubel.
Julie Boulianne. Photos : Yves Renaud.