Adrian Strooper (Tamino), Luc Bertin-Hugault (Sarastro), Lei Xu (Pamina).
Après La Tragédie de Carmen (1981) et Impressions de Pelléas (1992), voici donc la nouvelle proposition lyrico-théâtrale de Peter Brook : Une flûte enchantée. Dans ce « Une » réside toute la démarche du metteur en scène, faite avant tout d’humilité – contrairement à ceux qui coupent une partition voire transforment son argument sans en prévenir le spectateur dans le titre ou dans le programme, Brook, lui, assume et annonce son travail d’adaptation (très fidèle, du reste), lui rendant du même coup toute sa noblesse et sa légitimité. Dans ce « Une », il y a aussi toute la modestie de celui qui ne prétend pas assener sa Flûte comme la Flûte magistrale, mais au contraire proposer, offrir et partager une vision avec ses interprètes autant qu’avec son public. Enfin, ce « Une » est aussi l’article indéfini d’une pudeur qui guide constamment le regard porté sur l’œuvre. Brook dénude avec respect l’opéra de ses vêtements parfois trop lourds – même dans le cadre d’un Singspiel, ces décors et ces costumes où pèse l’artifice. Et il dévoile avec tendresse ce qui reste quand on l’a effeuillé : le décor redevient espace, le costume redevient personne, l’opéra redevient présence et La Flûte enchantée redevient conte universel. Le public, lui, redevient enfant qui croit et auditeur qui participe : et la magie est là. Quelques bambous pour évoquer les lieux changeants de l’histoire, deux comédiens pour accoucher les personnages de leur destin (le regard si tendrement amusé de William Nadylam sur eux est à la fois le relais de Brook et le nôtre, et crée une belle complicité humaine), une adaptation judicieuse qui gomme le secondaire plus qu’elle ne le « coupe », des récits en français et des interprètes dirigés au plus simple, vrai et touchant : l’essentiel est là qui naît devant nous comme un poussin sortant de sa coquille. Quatre distributions de jeunes chanteurs se partagent les représentations. Suffisamment expérimentés pour assumer les grands airs de la partition, mais suffisamment jeunes pour ne pas avoir été modelés à la taille de l’Opéra avec un grand O, pour conserver une naïveté lumineuse qui sied fort bien du reste à ce conte d’initiation. Le soir du 18 novembre, mention particulière revenait au Papageno fort bien chantant et aussi drôle que sympathique de Thomas Dolié. Le travail de Brook, la grande musicalité de Franck Krawczyk au piano (qui mêle avec subtilité d’autres moments mozartiens à la partition de La Flûte) et les dimensions intimes des Bouffes du Nord créaient une osmose heureuse entre les voix assurées de Sarastro (Luc Bertin-Hugault) et de la Reine de la Nuit (Malia Bendi-Merad), celles qui devaient relever le défi du chant piano mis à nu, véritable lied (le Tamino d’Adrian Strooper, la Pamina de Lei Xu), et les timbres plus courts sur le papier mais néanmoins si justes en scène de Raphaël Brémard (Monostatos) et Dima Bawab (Papagena). Tous dégagent une telle simplicité de présence et d’interprétation, un telle foi candide dans leur mot, leur geste – et leur voix –, que cette histoire chantée en devient en effet enchantée. On sort du théâtre tout léger, flottant comme la flûte qui, selon un tour de magie enfantin, a lévité entre les mains de Tamino. Et si c’était vrai ?
C.C.
Thomas Dolié (Papageno) et William Nadylam (comédien). Photos Pascal Victor (ArtComArt).