Dimitra Theodossiou (Élisabeth) et Alexey Dolgov (Devereux)
Pour la première en sol québécois de Roberto Devereux, l'Opéra de Montréal reprend une production que le Minnesota Opera a montée en début d'année avec la même équipe, soit le chef d'orchestre Francesco Maria Colombo et le metteur en scène Kevin Newbury. C'est donc un spectacle bien rodé et surtout très abouti que tous deux proposent aux amateurs de bel canto montréalais. Grâce à la scénographie fort ingénieuse de Neil Patel, les changements de décors s'effectuent de façon quasi instantanée : les caissons mobiles du plafond richement décoré s'abaissent en alternance jusqu'au sol afin de former des cloisons suggérant les différents lieux de l'action. Symbole du pouvoir redoutable d'Élisabeth qui s'immisce dans la vie privée de ses sujets, la rose Tudor est omniprésente : sur le rideau de scène, dans la salle du conseil bien sûr, mais aussi dans la chambre de Sara, sa rivale. Dès le premier tableau, la reine domine physiquement les courtisans en prenant place sur une espèce de chaire. Dans cet espace stylisé de l'univers élisabéthain, Kevin Newbury excelle à mettre en relief les moments forts du drame. Ainsi, le finale du deuxième acte, qui scelle le destin du comte d'Essex, fait tournoyer le condamné à mort sur un escalier métallique qui représente à la fois une prison et un échafaud. Le procédé sera repris au dernier acte pour signifier comment Devereux, dans sa cellule, est la victime d'une véritable tempête d'intrigues et de sentiments contradictoires.
Si la mise en scène réserve plusieurs moments saisissants, l'aspect musical s'avère globalement exceptionnel. À la tête de l'Orchestre métropolitain, Francesco Maria Colombo accompagne avec beaucoup de tonus ses chanteurs tout en sachant faire ressortir certains passages expressifs de la partition de Donizetti. Digne héritière de Leyla Gencer, Montserrat Caballé et Beverly Sills, Dimitra Theodossiou est une Élisabeth Ière de très grande classe qui maîtrise tous les aspects de ce rôle écrasant. Tour à tour fière, vulnérable, furieuse puis désespérée, elle incarne une reine d'une force dramatique peu commune. La cantatrice ne le cède en rien à la comédienne : se jouant des innombrables difficultés du rôle, Dimitra Theodossiou offre une leçon d'intelligence et de sensibilité musicales. En plus de posséder un registre grave d'une richesse impressionnante qui fait merveille dans l'expression de la rage, elle accomplit des prodiges dans les longues phrases pianissimi d'une rare beauté. Les forte accusent certes quelques stridences dans le registre aigu, mais c'est là un péché véniel en regard de ses immenses qualités qui lui assurent un triomphe amplement mérité.
Face à la soprano grecque, le ténor russe Alexey Dolgov campe un Devereux d'une extrême séduction. Très à l'aise scéniquement, Dolgov fait entendre une splendide voix de ténor capable tout autant de puissance que de nuances dans la mezza voce, comme le prouve notamment son émouvante scène de la prison. Le baryton James Westman, quant à lui, fait de Nottingham un personnage très humain, qui conserve un reste de tendresse pour son épouse même quand il apprend qu'elle aime Devereux. Un peu prudent au premier acte, il déploie ensuite toutes les palettes d'une voix très agréable. Seul élément faible de la distribution, la mezzo Elizabeth Batton joue avec intensité le rôle de Sara, l'épouse de Nottingham, mais tous les efforts qu'elle déploie ne peuvent faire oublier une voix au vibrato envahissant et au legato parfois déficient. En dépit de cette réserve – et sans oublier l'excellence des chœurs – l'Opéra de Montréal peut s'enorgueillir de fort bien servir l'ouvrage de Donizetti et d'avoir réuni une distribution digne des plus grands théâtres lyriques.
L.B.
Dimitra Theodossiou (Élisabeth) et James Westman (Nottingham)