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Sonia Prina (Orlando).

L’amour est aveugle, et les liaisons… dangereuses : c’est l’esprit de cet Orlando selon David McVicar, superbe production créée à l’Opéra de Lille en octobre dernier et actuellement à l’affiche du Théâtre des Champs-élysées.

Les personnages de L’Arioste revus par Haendel sont ici les devanciers de ceux de Mozart ou Marivaux, voire de Laclos ou de Sade. L’élégante scénographie de Jenny Tiramani, magnifiée par les chaudes lumières de Davy Cunningham, constitue un écrin alla Watteau pour une Angelica aux émois de Comtesse, une Dorinda éperdue comme un Cherubino, et un Zoroastro  incarnant le siècle des Lumières avec tout ce que la Raison dogmatique peut avoir de desséchant. La leçon d’Orlando est qu’il faut vaincre l’Amour pour éviter ses précipices ? Elle est suivie par McVicar avec autant de finesse que d’humour, tantôt sur le mode noir – ce petit marquis inquiétant qui hante tous les personnages, figure malsaine puis dérisoire de l’Amour –, tantôt sur le mode bouffe – les atermoiements de Dorinda ou la lâcheté de Medoro.

Mais le metteur en scène magnifie aussi la part dramatique de l’œuvre, il en creuse la profondeur. Ainsi la folie d’Orlando devient-elle une errance au cœur des illusions – décor retourné, fumigènes qui viennent ensauvager le plateau, danseurs aux masques animaliers –, où tous les repères précédemment établis – l’atmosphère scientifique, le « Beau classique » des postures et des atmosphères – sont abolis. On ne saurait mieux dire la « déraison » d’Orlando, et mieux justifier un finale qui l’en libère par une forme d’intervention psychiatrique avant l’heure. La production est donc aussi belle à voir que divertissante et réflexive : triple plaisir !

Couvés par une Emmanuelle Haïm attentive, à la tête d’un Concert d’Astrée en grande forme, les chanteurs forment un plateau homogène et globalement de haute qualité. Nathan Berg est un Zoroastro peu sympathique : un directeur de conscience autoritaire, que son timbre carnassier et ses graves de bronze servent avec énergie – on regrette d’autant plus les aigus bâillés et la vocalisation qui ne suit pas. Stephen Wallace compose un Medoro sophistiqué, fat poudré et sans destin, d’un chant fort bien mené à part quelques intonations basses. Lucy Crowe obtient un triomphe grâce à une Dorinda hyperactive et hypersensible (que de larmes !), chorégraphiée par Andrew George dans son air le plus virtuose. Elle y déploie une voix pétulante et une tessiture très longue (suraigu net, graves bien poitrinés) en plus d’une énergie à revendre. Port altier, beauté poudrée, chant parfait de conduite et de velours, Henriette Bonde-Hansen porte son Angelica vers les hauteurs de l’école viennoise d’antan. Quant à l’Orlando de Sonia Prina, il est tout simplement parfait : un physique androgyne à la Brigitte Fassbaender, un personnage bien croqué, d’une virilité juvénile d’adolescent bravache, et surtout une virtuosité qui jamais ne contraint le visage, à la netteté stupéfiante, à la projection impeccable. Un grand Orlando, pour un bel Orlando.

C.C.


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Stephen Wallace (Medoro) et Lucy Crowe (Dorinda).

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Sonia Prina (Orlando). Photos Alvaro Yanez.