Alina Gurina (Azucena).
Début de saison ambitieux à l'Opéra de Québec, qui présente un Trovatore aux mérites divers et dont la vedette incontestable est la Leonora vibrante de Manon Feubel. Après sa mémorable Amelia du Bal masqué que l'Opéra de Montréal avait donné en 2007, la soprano confirme dans cette production ses affinités avec le répertoire verdien. Sa grande et superbe voix, d'une belle rondeur, se plie admirablement aux exigences du rôle : elle possède à la fois un grave bien sonore, un timbre chaud et des aigus lumineux. Avec son sens du phrasé, ses pianissimi de rêve et une agilité impressionnante, son interprétation de Leonora est en tout point admirable. Après un merveilleux « D'amor sull'ali rosee », elle sut traduire l'oppression de son personnage pendant un troublant Miserere. Mais pourquoi nous priver, juste après, de la cabalette ? De même, il est bien dommage que le bref duo entre Manrico et Leonora – seul moment de relatif bonheur dans l'ouvrage – soit également supprimé.
Face à Manon Feubel, Richard Margison n'atteint peut-être pas à de tels sommets, mais il propose un Manrico ardent, au chant puissant et viril, capable de splendides passages en mezza voce. Son « Di quelle pira » fut percutant à souhait ; il faut néanmoins reconnaître qu'il s'avère moins convaincant dans l'expression des sentiments amoureux. Alina Gurina campe une Azucena des plus étonnantes : si la voix présente des failles évidentes et manque singulièrement d'homogénéité, la force de son incarnation soulève l'adhésion. Tout, dans son air égaré, ses gestes quasi hystériques et sa démarche rampante, rend son personnage plus vrai que nature. Aussi étonnant que cela puisse paraître, elle réussit dans le dernier tableau à rendre sa voix parfaitement docile pour offrir un chant d'une douceur élégiaque. Plus constant, mais moins inspiré, John Fanning est un comte di Luna aux solides moyens vocaux, mais dont le legato laisse à désirer. Un peu à l'instar de Richard Margison, il excelle davantage dans les scènes violentes que dans « Il balen del suo sorriso ». Enfin, le Ferrando d'Alexander Savtchenko fait entendre une voix puissante, mais un style assez peu distingué. Dans la première scène, il ne fut pas toujours en mesure avec l'orchestre.
Daniel Lipton sait insuffler intensité et force dramatique à l'Orchestre symphonique de Québec, qui a toutefois couvert les chanteurs à quelques reprises. Sa direction pourrait à l'occasion mettre davantage en relief le caractère nerveux du jeune Verdi. La scénographie, simple mais permettant de rapides changements de décors, a été dessinée par Michael Ganio pour le Virginia Opera. La mise en scène de Valerie Kuinka, épouse de Richard Margison, n'est guère inventive, mais a le mérite de ne pas embrouiller outre mesure une intrigue déjà bien complexe. On aurait cependant souhaité que le chœur, très bon au demeurant mis à part quelques hésitations, soit un peu mieux dirigé. Ainsi, les soldats du comte n'opposent aucune résistance aux hommes de Manrico dans la dernière scène du deuxième acte. De plus, il est absurde, au tableau suivant, de faire déambuler les soldats comme s'ils étaient tout droit sortis d'une opérette. L'univers étouffant et très sombre de l'œuvre s'accommode mal de cette légèreté. Cela dit, la satisfaction musicale de ce Trovatore permet d'oublier aisément quelques idées discutables de la mise en scène.
L.B.
John Fanning (di Luna), Richard Margison (Manrico), Manon Feubel (Leonora).