David Pomeroy (le Duc) et Anthony Michaels-Moore (Rigoletto).
Le Rigoletto qui ouvre la saison 2010-2011 de l'Opéra de Montréal est tout entier dominé par l'interprétation magistrale d'Anthony Michaels-Moore, qui fait ses débuts montréalais dans le rôle-titre. À 53 ans, le baryton britannique reprend un personnage qu'il a incarné à maintes reprises sur les plus grandes scènes et dont il traduit parfaitement l'extraordinaire complexité. Sa voix souple et puissante, aux aigus éclatants et généreux, sait parfaitement exprimer le caractère tour à tour caustique, tendre, vindicatif ou désespéré du bouffon. La beauté du timbre n'a d'égale que la suprême intelligence musicale de l'artiste et l'efficacité de son jeu. On tient là un Rigoletto d'exception.
À ses côtés, Sarah Coburn ne démérite pas en Gilda, même si elle laisse un souvenir moins impérissable. La voix un peu trémulante, en particulier au moment de son entrée en scène, possède néanmoins de belles qualités expressives et suffisamment de fraîcheur pour faire croire à son personnage. Très à l'aise dans « Caro nome », elle s'avère particulièrement touchante dans les deux derniers actes. Le Canadien David Pomeroy ne convainc guère en duc de Mantoue : son style bien fruste, sa voix aux aigus tonitruants de même que son jeu engoncé nuisent à la crédibilité du personnage. On a du mal à comprendre comment il peut charmer Gilda en chantant « È il sol dell'anima » avec aussi peu de délicatesse. Cela dit, il prouve à quelques reprises qu'il est cependant capable de nuancer son chant. Très bonnes prestations d'Ernesto Morillo en Sparafucile, à la voix un peu rocailleuse mais à la forte présence, et de Lauren Segal dont le timbre charnu convient parfaitement à Maddalena. Le chœur d'hommes est excellent.
Les décors et costumes, en location du San Diego Opera, furent réalisés pour le New York City Opera en 1988 par Carl Toms (1927-1999), important décorateur de théâtre anglais. Vêtus de façon luxueuse, ses personnages évoluent dans des décors traditionnels mais de bon goût que rehaussent de superbes éclairages. La mise en scène de François Racine s'intègre harmonieusement à cet écrin, tout en réservant une petite surprise au deuxième tableau du premier acte : pendant la première moitié de son duo avec son père, Gilda reste enfermée derrière la grille du jardin, signe éloquent de sa condition de recluse et de l'amour possessif de Rigoletto. Sinon, un peu plus de dynamisme dans les mouvements du chœur et des figurants serait souhaitable, surtout au premier tableau. Dans la fosse, le chef Tyrone Paterson et l'Orchestre Métropolitain donnent une lecture admirable de la partition de Verdi. Sans jamais couvrir les chanteurs, ils savent mettre en relief certaines subtilités de la partition, notamment au moment de la mort de Gilda. En somme, Verdi est bien servi dans cette production, qui voit le triomphe d'Anthony Michaels-Moore au sommet de son art.
L.B.
Aidan Ferguson (Giovanna), Anthony Michaels-Moore (Rigoletto) et Sarah Coburn (Gilda). Photos : Yves Renaud.