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Anna Netrebko (Juliette) et Piotr Beczala (Roméo).

Quand on a entendu Riccardo Muti s’enliser dans un Orphée totalement anémié, on se réjouit de ce Roméo et Juliette virevoltant, maintes fois brocardé pour sa mise en scène très traditionnelle. Certes Bartlett Sher n’est pas un trublion du théâtre contemporain : il suit la musique, colle au texte, il raconte une histoire qui trouve dans les arcades du Manège des rochers son cadre idéal – assez bien exploité ici et dispensant presque de décor, alors que les luxueux costumes, plus XVIIIe que Renaissance, habilleraient aussi bien les personnages de Manon. Cela ne manque d’ailleurs pas d’atmosphère, avec des scènes de foule très colorées, des scènes intimistes heureusement équilibrées, un contraste réussi entre la violence du monde – tout commence par le viol d’une servante -  et la tendresse des amants. Le côté cape et épée hollywoodien – les duels impressionnent, réglés par un expert en la matière - ne trahit finalement ni Shakespeare ni Gounod, qui fait aussi jouer à fond les ressorts du grand opéra. On ne s’irrite pas, du coup, de ce réalisme assez naïf, en particulier au deuxième acte, lorsque Frère Laurent célèbre le mariage, ou au troisième, quand on se bat au milieu des charrettes des marchands. Bref, si ça ne va pas loin, ça bouge et ça vit, le metteur en scène imposant à tous un jeu de bonne convention. De toute façon, la production, inaugurée en 2008, visait surtout à mettre en valeur le coule vedette Netrebko-Villazón. On sait ce qu’il advint, notamment par le DVD paru chez Deutsche Grammophon : la première, enceinte, dut être remplacée par la jeune Géorgienne Nino Machaidze ; le second n’avait vraiment résolu ses problèmes vocaux. La star, cette fois, est au rendez-vous. Elle commence mal, laborieuse au possible dans son entrée – où elle paraît terriblement nunuche -, faute de savoir vocaliser correctement et de trouver la stabilité de l’aigu. Nullement anthologique, la valse passe plutôt mieux – que diable, tout ça n’est pourtant pas si difficile. Mais quand le rôle appelle ensuite un soprano lyrique, elle se métamorphose, séduit par un timbre plus rond et plus chaud que naguère, une grande homogénéité des registres, un investissement dramatique très intense – qui lui permet de sortir victorieuse de l’air du poison, où les voix trop légères courent de grands risques. L’articulation, dont elle ne se montre pas toujours très soucieuse, ne laisse pas trop à désirer et elle s’est familiarisée depuis quelques années avec le répertoire français. Piotr Beczała, son nouveau partenaire régulier à la scène, ne fait pas regretter Rolando Villazón. Si le ténor polonais n’a ni le même sex appeal dans le timbre ni la même électricité dans le chant et dans le jeu, il maîtrise infiniment mieux sa tessiture, son souffle et sa projection, ne met jamais en péril l’onctuosité de la voix. Pas besoin, pour lui, d’escamoter certains aigus : tous sont là, émis piano quand il le faut, jusqu’à ce contre-ut non écrit d’une fin du troisième acte tout à fait assumée – que Roberto Alagna, en 2002, avait craqué… pour le sortir crânement ensuite devant le rideau. Et le français sonne beaucoup moins exotique que chez le Mexicain, qui confond souvent l’articulation et la déclamation : on a vraiment l’impression d’entendre du Gounod à travers ce Roméo si stylé, à la fois mâle et tendre. Le chef-d’œuvre de Gounod deviendrait-il, grâce à eux, l’un des opéras favoris du public salzbourgeois ? Mikhail Petrenko revient en Frère Laurent tutélaire et grave, plus assuré dans sa prononciation, Russell Braun retrouve son Mercutio tête brûlée mais possédant bien sa Reine Mab, Cora Burggraaf reprend les habits d’un Stephano bien campé sur son mezzo clair. Capulet, en revanche, n’a pas plus de chance : après In Sung Sim et Falk Struckmann, rien moins que convaincants, Darren Jeffery a du mal à faire passer la rampe à une voix engorgée. Yannick Nézet-Séguin a gagné en énergie, voire en violence, en générosité, en approfondissement du détail – parfois en décalages, aussi. Un vrai chef de théâtre poussant l’orchestre du Mozarteum à se dépasser lui-même – il est dur de jouer après ou avant la Philharmonie de Vienne -, dont il fait, par exemple, joliment chanter ses bois. L’opéra, avec lui, trouve son vrai rythme, sans temps mort, les numéros les plus célèbres s’insérant naturellement dans la continuité du drame. Une heureuse reprise.  

D.V.M.


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Adrian Strooper (Benvolio) / Piotr Beczala (Roméo) / Russell Braun (Mercutio) / Cora Burggraaf (Page de Roméo)


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Anna Netrebko (Juliette) / Piotr Beczala (Roméo). Photos © Hermann, Clärchen & Matthias Baus