Donné en version de concert à la basilique Notre-Dame le 24 juillet, Bellérophon de Lully restera comme l’un des temps forts de la 28e édition du Festival international d’opéra baroque de Beaune et, au delà, de l’été 2010. Il subsiste toujours une marge d’incertitude à propos des « recréations » car une partition oubliée a pu être exécutée ici ou là sans publicité. Car n’est-il pas étrange que Bellérophon, septième des quatorze tragédies de Lully, dont le succès avait été des plus éclatants en 1679, suscitant de nombreuses reprises jusqu’en 1773, soit le dernier qu’on nous donne à découvrir ? D’autant que l’intérêt de la partition ne faiblit pas un instant et que l’action, bien menée, captive l’attention.
Peut-être le nom du vainqueur de la Chimère est-il moins familier et moins euphonique que ceux de Persée, d’Armide ou de Psyché, excite-t-il moins la curiosité ; peut-être aussi que Quinault, tombé en disgrâce à cause du livret d’Isis où Madame de Montespan s’était reconnue en Junon, ayant laissé provisoirement la place à Thomas Corneille (le cadet plus obscur de Pierre), la collaboration semblait moins idéale.
Or c’est tout le contraire : Lully a donné le meilleur de lui-même et a obtenu de son librettiste, à force de corrections et de remaniements, une vraie tragédie où l’amour pathétique de la reine Sténobée pour Bellérophon qui lui préfère un tendron est au centre du drame, de la première à la dernière réplique. Parallèlement, l’exaltation du prince guerrier intrépide et invincible, providence de son peuple, fait de Bellérophon l’hommage le plus appuyé au Roi Soleil. En sorte que le prologue, où l’on célèbre traditionnellement « Le plus grand roy de l’univers », anticipe plus que jamais sur la tragédie où l’on chantera encore « la valeur éclatante du plus grand des héros »…
Tout le rôle de Sténobée est magistral, tant dans les scènes dialoguées avec sa suivante Argie bien incapable de la raisonner, avec Bellérophon qui la repousse avec violence, ou avec le sombre magicien Amisodar dont elle exploite cyniquement les espérances amoureuses, que dans ses airs et, surtout, dans l’aveu final de son suicide qui clôt l’ouvrage en un perdendo saisissant. Ingrid Perruche y déploie une intensité dramatique étonnante de présence et de sûreté vocale.
Bellérophon à qui tout réussit, ne touche pas autant, mais on admire tantôt la vaillance éclatante du guerrier, tantôt la douceur de l’amant dans son tendre duo avec Philonoé « disons-nous cent fois je vous ayme » et le désespoir héroïque de celui qui va chercher une mort libératrice en combattant la Chimère. Cyril Auvity possède la voix de haute-contre et les couleurs du rôle mais, surtout, il l’habite.
Si la tendre Philonoé se borne à partager l’amour et les déboires de Bellérophon, elle y met tant de grâce ingénue que la voix fraîche et souple de Céline Scheen, en accord avec sa silhouette élancée, suggère l’image du roseau qui plie mais ne rompt pas.
Jean Teitgen qui, à chaque prise de rôle, dévoile un aspect nouveau d’une personnalité déjà riche, est la basse qu’il fallait pour incarner le terrible Amisodar. Son invocation des magiciens puis des monstres, tout comme l’expression de son amour pour Sténobée, révèlent un registre étendu où la violence se manifeste dans une large gamme de couleurs. Il lui revenait d’incarner en outre Apollon, le Sacrificateur et un Dieu des bois… Cela fait beaucoup pour un artiste qui, pour une de ses premières expériences du chant baroque, a bien donné le change.
Chargés, eux aussi, de plusieurs rôles, Jennifer Borghi (Argie), Robert Getchell (Bacchus) et Evgueniy Alexiev (le Roi) complétaient la distribution. Il n’est pas besoin de rappeler les qualités du Chœur de chambre de Namur et de l’orchestre les Talents Lyriques. Christophe Rousset, qui dirigeait sur l’édition originale de Ballard, tantôt assis au clavecin, tantôt debout, a prouvé une fois de plus à quel point il est dans son élément avec la musique de Lully dont il sait trouver la dynamique et exalter la dramaturgie.
G.C.
Reprises à Paris le 16 décembre à la Cité de la Musique et, le 17 décembre à l’Opéra royal de Versailles.
Photos Gilles Brébant.