OEP76_1.jpg

Sally Matthews as Fiordiligi and Barbara Senator as Dorabella. 


Il se passe quelque chose à Glyndebourne qui rend difficile le travail du critique. Il suffit que le temps soit clément, qu’on soit venu assez tôt pour choisir son emplacement, sur la pelouse devant le château ou au bord de l’étang, pour y poser son panier dans l’attente du long entracte où l’on pourra étendre son napperon et déguster son  pique-nique ; il suffit d’avoir pris place dans la belle salle du théâtre, boisée et chaleureuse ; il suffit que les bois volubiles de l’Orchestra of the Age of Enlightenment dévident les guirlandes de l’ouverture et que Sir Charles Mackerras paraisse dans son meilleur jour ; il suffit que le rideau s’ouvre sur un décor frais, que les garçons trop sûrs d’eux déploient leurs bonnes voix (Allan Clayton et Robert Gleadow) en face du scepticisme de Don Alfonso (Pietro Spagnoli), que la direction d’acteurs manifeste d’emblée son acuité et son humour ; qu’ensuite Fiordiligi et Dorabella assortissent au mieux leurs timbres (Sally Matthews et Barbara Senator) et que Despina prêche l’inconstance sur un mode enjoué (Anna Maria Panzarella); il suffit de tout cela et d’une poursuite heureuse du spectacle pour que l’euphorie vous gagne. Vous vous dites alors que le bonheur sur terre existe, qu’il doit beaucoup à Mozart et à la famille Christie qui depuis 1934 a su si bien le servir.

On comprend que le Festival reprenne une fois encore cette production de 2006. N’y trouveront à redire que ceux qui ne voient possible la mise en scène d’aujourd’hui que dans la transposition, ceux qui préfèrent des uniformes de GI’s aux costumes d’époque et le Despina’s Bar à une terrasse napolitaine. On a reproché à Nicholas Hytner d’être trop consensuel. En l’occurrence, on aura apprécié qu’il évite les clichés du Regietheater contemporain et privilégie une histoire clairement racontée, un évident plaisir du jeu, une foule de détails psychologiques et un juste équilibre entre comique des situations et sensibilité au double-fond de l’œuvre. Ainsi, cet éveil à la sensualité que vivent les jeunes filles, découvrant, après leurs fiancés, militaires un peu raides et trop boutonnés, des séducteurs aux charmes virils plus librement affirmés. Quand ils reviennent en Albanais, c’est donc moins le physique des garçons qui a changé que leur attitude, fanfaronne et délurée, comme érotiquement libérée. D’où cet entraînement au jeu de la conquête qui les saisit, au détriment même des enjeux du pari. Guglielmo, si démonstrativement macho, si empressé à donner raison à Alfonso tant qu’il n’est pas lui-même concerné, ne se remettra pas de voir sa fiancée céder elle aussi. La fin est donc amère : un dernier regard de Fiordiligi à Ferrando en dit long sur leur amour rêvé et perdu.

P.M.


OEP76_2.jpg

Sally Matthews as Fiordiligi and Allan Clayton as Ferrando. 


OEP76_3.jpg

Barbara Senator as Dorabella and Robert Gleadow as Guglielmo. Photos Robbie Jack.