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Couronnée du Prix du meilleur spectacle lyrique de l’année en 1998 par le Syndicat de la critique musicale, la production de Billy Budd par Francesca Zambello fait actuellement l’objet d’une nouvelle reprise à l’Opéra Bastille. Ne dévoilant au premier acte que ses aspects les plus mornes, elle se révèle heureusement au second sous un jour plus efficace et prenant. Il faut auparavant en accepter les décors hétéroclites : en fond, un faux ciel fait de parois accumulées ; au sol, une fausse mer qui semble gravillon ou marouflage, selon le regard ; le tout, dans un mélange de bleus (indigo et outremer) assez dissonant. Il faut aussi entrer dans une scénographie (Alison Chitty) qui souligne à l’envi l’écrasement des destinées : la massivité du plateau-pont, la lourdeur de sa proue tendue au-dessus de l’avant-scène, l’épaisseur (concrète et symbolique) du mât qui tient autant du Crucifix que de la Croix de Lorraine de Colombey-les-Deux-Eglises. Mais ce dispositif peu avenant, réglé sur l’étouffement du livret, se mue au second acte en machinerie exactement terrifiante: le plateau sur vérins se soulève et révèle comme une gueule de monstre marin les entrailles du bateau, une cale où s’entassent les marins-esclaves éclairés par la seule lueur glauque d’une eau verdâtre – les lumières, elles aussi, se font alors plus évocatrices.La direction d’acteurs de Francesca Zambello est à l’avenant : souvent massive ou appuyée (notamment les scènes chorales, très statufiées, mais aussi la mort de Billy Budd, d’un réalisme complaisant), mais animée de moments à la cruauté juste – on songe à la scène entre Claggart et le Novice, où le désir bridé en violence joue parfaitement de la stature des interprètes. Et en effet, ce sont les interprètes qui peuvent donner vie et corps à cette mise en scène, et ceux de cette reprise ne font pas défaut. Le Billy Budd de Lucas Meachem, silhouette de Siegfried et chant à l’aisance confondante, est gaillard et franc tout du long, touchant dans son dernier air, suspendu et élégant – somme toute, plus entier qu’ambigu, à l’image de la lecture d’ensemble de la production qui joue sur le sacrifice odieux plus que sur le réseau d’émotions complexes qui l’enveloppe. Face à lui, Gidon Saks compose un Claggart corseté, qui refoule son trouble sous une carapace d’élégance et libère des pulsions sadiques cinglantes, d’un timbre un peu mat qui rend le personnage d’autant plus opaque, d’autant plus inquiétant. L’équipe vocale autour d’eux tient son rang, elle aussi plus tonique qu’ambiguë, et la baguette de Jeffrey Tate, de retour à Paris après onze ans d’absence, mène à bon port les sombres méandres de l’orchestre de Britten. Ajoutez à cela un chœur particulièrement sombre et mâle, en plus d’être d’une belle précision, et vous aurez un Billy Budd lisible, efficace plus que subtil, spectaculaire plus que psychologique. Un bon moyen, peut-être, d’entrer dans l’œuvre et son enjeu sinueux, mais avec le risque d’en perdre les finesses à force d’en souligner la noirceur.

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Crédit photos : Opéra national de Paris / Ian Patrick