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Opéra national de Paris / Charles Duprat.


Du plaqué ! On ne parle pas suffisamment de la veine comique de L'Anneau du Nibelung de Richard Wagner. C’est une injustice que Günter Krämer a amplement réparée dans le Prologue de sa nouvelle production du Ring, une des pierres de touche de la programmation de Nicolas Joël puisque l’Opéra de Paris attendait depuis 1957 de redonner une Tétralogie au complet, et que ce sera chose achevée – si les Dieux du Walhalla le veulent bien – en 2011, après cet Or du Rhin du mois de mars et la future Walkyrie de juin prochain. On peut s’attendre à beaucoup de choses avec Wagner en général, avec le Ring en particulier, plus encore avec l’aventureux Or du Rhin qui défie, par le fondu enchaîné de son mouvement narratif, l’art de la mise en scène. Nous arrivons à l’aube (déjà bien entamée d’une décennie!) d’un XXIe siècle où musicologues, historiens, amateurs éclairés et passionnés du compositeur sont désormais chargés d’outils de réflexion exemplaires pour dépoussiérer la statue du Commandeur et nuancer finement les amalgames dont son œuvre a pu faire l’objet. Et d’ailleurs, le XXe siècle ne fut pas en reste pour en proposer des lectures brillantes et diversifiées. Mais on n’avait pas encore eu un Rheingold faisant rigoler le public: c’est chose faite. A court de point de vue personnel ou tant soit peu original, Krämer nous sert un menu indigeste de restes cuisinés sans goût. C’est visuellement laid (très laid !), tellement laid que là réside le début du comique : le costumier Falk Bauer affuble ses dieux de torses en « faux nu » aux abdominaux de rêve, mais les supposées tablettes de chocolat, faute de bonnes proportions, font plutôt l’effet de bourrelets accumulés. En-dessous, un pantalon un peu baggy achève de donner à Wotan la prestance d’un député surpris au saut du lit. C’est symboliquement niais (très niais!), tellement niais que le comique se gonfle : Donner ne va nulle part sans son petit marteau, façon « Playmobil-Donner », Loge arrive avec un gant de flammes dont le lien vers les coulisses est aussi élégant qu’un tuyau de Gaz de France. C’est scénographiquement hétéroclite (quelle ligne directrice a donc guidé Jürgen Bäckmann pour ses décors ?!) : l’on passe de l’abstraction (le Rhin, pure chorégraphie de corps et de lumières) au futuro-réalisme (le chantier du Walhalla, sorte de station spatiale façon décor de James Bond), puis d’un Nibelheim au plateau nu à un Walhalla constructiviste (une immense charpente qui avance du fond de la scène pour se muer en escalier géant). Ne cherchez pas le passage du Walhalla au Nibelheim, pas plus que les métamorphoses d’Alberich en serpent ou en crapaud : Krämer use de pirouettes pour s’en sortir, là un changement de décor dans la pénombre, ici de nombreux figurants qui font la chenille (sic) puis la grenouille (re-sic)… Sourires désolés. C’est surtout politiquement daté, vu et revu, et d’une légèreté de touche aussi navrante qu’hilarante : le Walhalla est décoré d’oriflammes qui le rebaptisent « Germania » et bien sûr, à la fin, l’ascension du Walhalla se fait au milieu de figurants habillés comme les Dieux du stade de Leni Riefensthal, qui transportent sur leur dos les lettres géantes du mot… « Germania » (au cas où on n’aurait pas compris)… Mais outre que l’idée n’est pas neuve et désormais plus qu’éventée, dans un tel fourre-tout, « Wagner chez les nazis » semble aussi approfondi que « Martine à la plage ». Il faut voir les trois filles du Rhin chorégraphiées en Clodettes (avec un costume qui semble une idée mutante croisant l’Olympia d’Olivier Py et les robes de Ginger Rogers), Loge en grande folle portée sur l’alcool, et Erda habillée en Elizabeth II façon Ludwig de Visconti : ce n’est plus une cuisine de restes, c’est du Gloubiboulga. En cerise décorative, l’invasion de la salle de l’Opéra Bastille (et du plateau) par les… ninjas au service des Géants, poussant de grands cris très effrayants (« Arghhhh ! ») et brandissant d’immenses drapeaux rouges, avec poing levé et tracts tombant du plafond. Si, si. Nous pouffâmes, contenant un fou rire définitif... Krämer a-t-il voulu décrédibiliser L’Or du Rhin ? Comment personne autour de lui n’a pu l’avertir de la dimension farcesque que prenaient les choix et les idées de son équipe ?? Nous restent trois « Journées » (et plus d’un an) avant de savoir si c’est bien volontairement qu’il a placé son Ring sous le signe de la dérision la plus lourde, masquant ainsi presque entièrement un travail de direction d’acteurs pourtant parfois touchant (on songe notamment à Freia et Fasolt, Alberich et Mime, et une Fricka très stratégique).

Et la musique, dans tout ça ? Un prélude qui, dès l’arrivée de la quinte, se coagule trop tôt, présage d’une fosse qui plonge dans le Rhin pour la première fois et s’en sort sans fausse note mais sans grand panache – autre moment-clef, les enclumes apparaissent trop soudainement aussi. Philippe Jordan ne fait pas voyager une partition pourtant magique de reliefs et de progressions, la faute en étant peut-être à l’insondable ratage scénique qui se déroule sous ses yeux, sans progression justement, sans le moindre rapport au mouvement musical. Côté équipe vocale, les Dieux sont corrects mais sans grande prestance : le Wotan de Falk Struckmann marque moins que sa Fricka – bien jeune et jolie pour une fois –, une Sophie Koch bien chantante. De Loge, réduit à l’état de pantin clownesque et travesti, on perd toute la séduction insinuante pour ne garder que son timbre, écueil que traverse Kim Begley au gré de quelques problèmes d’intonation. Alberich (Peter Sidhom) est, de même, conduit à surjouer voire sur-chanter, quand Mime (Wolfgang Ablinger-Sperrhacke) nous laisse impatients de son futur Siegfried. Les Géants de Günther Groissböck et Iain Paterson sont au mieux, bien plus en voix que les Dieux finalement. Signalons un effet secondaire inattendu de cet Or du Rhin, accentuant plus encore la folle gaieté de la soirée : las du grand n’importe quoi déployé durant deux heures, nous commencions à penser (pardon pour ce procès d’intention!) : « Si Nicolas Joël voulait nous convaincre de l’absurdité des mises en scène contemporaines et de la solidité à toute épreuve d’un académisme de bon aloi, avec ce Ring-là, il a bien calculé son coup : on aurait encore préféré les bons vieux casques ailés ! ». A ce moment précis, Wotan et toute sa famille divine coiffèrent… de très seyants casques ailés pour gravir les marches du Walhalla. Drôle de soirée, décidément...

C.C.

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Opéra national de Paris/Elisa Haberer.


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Opéra national de Paris/Charles Duprat.