C’est avec une vive curiosité que je me suis rendu à Metz pour y voir L’Attaque du moulin d’Alfred Bruneau, compositeur très oublié à la discographie pratiquement inexistante et que je ne connaissais que par un unique CD regroupant son Requiem et son opéra-oratorio Lazare, sous la direction de Jacques Mercier, que l’on retrouvait aux commandes ici. L’impression un peu terne et grise que m’avait laissée ces deux partitions s’est hélas confirmée. Connu à l’époque par son amitié et sa collaboration avec Emile Zola, auteur de la plupart de ses livrets (dont ceux du Rêve et de Messidor, les plus connus avec l’ Attaque du Moulin), Alfred Bruneau apparaît comme un artiste d’une grande probité mais aux moyens limités : métier honnête sans plus, langage le plus souvent conventionnel en dépit de trop rares trouvailles, invention mélodique peu originale et donc peu mémorable, manque de force et de puissance, et, chose plus grave, pauvreté flagrante dans l’articulation des paroles, dont le sens expressif est rarement souligné.
L’action de l’Attaque du moulin, un épisode de la guerre franco-prussienne de 1870, tiré d’une nouvelle de Zola figurant dans le recueil des Soirées de Médan, est pourtant dramatique à souhait : La célébration des fiançailles entre Françoise et la fille du meunier Merlier, et Dominique, un jeune ouvrier d’origine flamande, est brutalement interrompue par l’annonce de la guerre. Dominique, par amour pour Françoise s’engage aux côtés des français, mais comme il est étranger, prisonnier des vainqueurs prussiens, il est condamné à être fusillé comme franc-tireur. Refusant de trahir les siens en indiquant aux prussiens le chemin de la forêt, il réussit à s’évader avec la complicité de sa fiancée, mais au prix de la mort de la sentinelle prussienne qui les gardait. Le vieux meunier pris en otage est fusillé devant sa fille horrifiée juste avant l’arrivée des Français vainqueurs. Pour l’opéra, Zola a ajouté le personnage de la vieille servante Marcelline, qui a perdu ses deux fils à la guerre, et qui en dénonce les horreurs avec véhémence, en porte-parole de l’idéal pacifiste de l’écrivain et de son musicien. On rêve à ce qu’un génie musical et dramatique comme le Puccini de Tosca eût pu tirer de pareil sujet. Ici, la faiblesse et la banalité de la musique rendent l’histoire bien peu crédible, parfois à la limite du ridicule, et l’ouvrage croule sous les bons sentiments qui ne peuvent le sauver : visiblement toutes les partitions lyriques françaises oubliées de cette époque (1893) ne méritent pas de revivre, et je ne pense pas que l’histoire ait commis une vraie injustice vis-à-vis d’un auteur probe, au talent modeste, mais totalement dépourvu de la moindre étincelle de génie.
La production messine ne semble nullement devoir être mise en cause. Certes, la mise en scène et les décors d’Eric Chevalier demeurent très classiques, soulignant la convention de la partition, et ne dépassent guerre le premier degré. Mais on voit mal comment faire autrement, dès ce rideau de scène représentant la théorie infinie des croix blanches d’un cimetière militaire. A l’époque de la création, les blessures de la défaite française étant encore toutes fraîches, on avait estimé prudent de déplacer l’action au temps de la Révolution française. Ici, shako et casques à pointes sont bien au rendez-vous, de même que les robes « nationales » des femmes. La direction d’acteurs ne pêche pas par excès d’inspiration non plus, les personnages qui ne chantent pas « attendent que ça passe » trop souvent. Et pour suggérer les mouvements des ensembles – des troupes en particulier – on aurait pu tirer meilleur avantage d’un des derniers plateaux tournants subsistant sur une scène lyrique française d’aujourd’hui. Les rôles les plus importants sont très honorablement distribués : Jean-Philippe Laffont, audiblement en fin d’une fort belle carrière, incarne un Merlier à la silhouette généreuse, à la voix sonore mais fatiguée, au vibrato pas toujours maîtrisé, aux accents parfois emphatiques. Anne-Marguerite Werster est une Françoise non sans ressources, certes, mais la voix manque de charme et de séduction, sa justesse n’est pas toujours parfaite, ni sa diction, et la musique ne l’aide certes pas, à incarner l’héroïne de manière forte et personnelle. Gilles Ragon campe un Dominique plus convaincant, mais ses aigus héroïques frisent parfois la vulgarité. Rien de déshonorant dans tout cela, mais j’ai trouvé davantage de satisfactions dans certains rôles secondaires, auxquels Bruneau a d’ailleurs confié quelques accents vraiment inspirés : le beau mezzo de Julie Robart-Gendre dans la véhémente dénonciation de la guerre de Marcelline à la fin du premier acte, l’excellent jeune ténor Julien Dran (un nom à suivre !) dans le nostalgique solo de la sentinelle prussienne à l’acte trois. Et le capitaine prussien trouve en Philippe Kahn un interprète solide, d’une belle autorité et à la diction impeccable. Les chœurs maison s’acquittent fort bien de tâches assez importantes, et l’Orchestre National de Lorraine fait de son mieux, sous la baguette ardente et efficace, de Jacques Mercier, pour tirer le maximum d’une partition aux couleurs plutôt ternes. Matinée en demi-teintes, donc, mais au moins on aura pu juger la cause de Bruneau dans les meilleurs conditions possibles.
H.H.