Charles Daniels (Orfeo), Faye Newton (Euridice), Curtis Streetman (Caronte), David Hurley (la Musica), Clare Wilkinson (la Speranza), Emily van Evera (la Messagiera, Proserpina), Christopher Purves (Plutone), Guy Pelc (Apollo), Anna Dennis (Ninfa). Taverner Consort and Players, dir. Andrew Parrott (2012).
CD AVIE AV2278. Distr. Abeille Musique.
Une foule murmurante écoute les sonneries de la Toccata introductive se rapprocher. Serait-on au théâtre ? Non, justement, n'hésitant pas à manier le paradoxe, Andrew Parrott prend le contrepied de ce que laisseraient croire les premières minutes de cet enregistrement. Selon lui, l'œuvre ne participe pas de ce prototype nouveau de l'Opéra acté par l'Euridice de Jacopo Peri cinq ans auparavant, mais serait plutôt une fable en musique : donc la poésie plutôt que l'émotion, l'esprit du madrigal au lieu de celui du drame lyrique, le récit en place de l'action. Pourquoi pas, après tout, on a eu d'autres Orfeo convertis en madrigal géant - le dernier en date, celui de la Venexiana, était loin de tenir toutes ses promesses. Mais Andrew Parrott, dont ont aime le geste serein et la syntaxe plus d'une fois éclatante - les Taverner Players, même avec deux fois moins de violons qu'en voulait Monteverdi, sonnent fastueusement -, n'a, côté voix, guère les moyens de son entreprise : sèche et rêche, Emily van Evera défigure et la Messagère et Proserpine, Faye Newton est bien pâle pour Euridice, Curtis Streetman fait un Caron prosaïque, et même lorsque le madrigal est là en chair et en os, joyeux au I et éploré au II, la Ninfa prosaïque d'Anna Dennis et les Pastori sans grâce et sans esprit font plutôt penser à l'église qu'au théâtre. D'ailleurs, on est à l'église, comme l'atteste la prise de son très réverbérée qui rend bien compte de l'acoustique généreuse de l'Eglise St Michaels & All Angels de Summertown, paradoxe supplémentaire. Et Orfeo ? Charles Daniels y fait assaut de beau chant mais avec une voix qui accuse le passage du temps. Son « Possente Spirto », sauvé par une technique vocale trempée, ne peut masquer une couleur unique et des harmonies appauvries. Et on baisse les bras devant la tiédeur de son lamento. Ici et là une ornementation bavarde fait, chez les bergers mais aussi chez les dieux ou les figures allégoriques, perdre la ligne musicale, option d'autant plus inexplicable que l'orchestre, lui, orne peu, s'occupant de dresser partout un décor qui finalement est plus éloquent que les acteurs qui s'y meuvent. Pourtant on est revenu plusieurs fois à cet Orfeo auquel on ne peut retirer sa poésie, preuve qu'une part des intentions initiales du chef opère. A vous de voir, ou plutôt d'entendre.
J.-C.H.