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Opéra de chambre conçu d’après Mademoiselle Julie de Strindberg, la Julie de Philippe Boesmans fut créée à Bruxelles en 2005 dans une mise en scène de Luc Bondy, également son librettiste, qui marqua les esprits par sa violence froide et tenue. Reprise la même année au Festival d’Aix-en-Provence, diffusée ensuite à la télévision puis en DVD, elle est un de ces signaux qui confirment que le genre est bien vivant, et hautement représenté par le compositeur belge. Car ses compositions lyriques, qu’elles soient intimistes (on songe à Reigen d’après Schnitzler) ou de plus grande ampleur (la récente Yvonne, Princesse de Bourgogne d’après Gombrowicz), arborent un équilibre savant et séduisant entre modernité du langage et immédiateté de l’expression. Boesmans joue parfois du second degré référencé (ici, notamment, une allusion au « Se vuol ballare » de Figaro qui, dans ce huis-clos poussant à bout la relation maître-valet, prend une cruelle saveur), et toujours met au premier plan le théâtre : des personnages en corps, en mots et en actes, d’où sans doute la réussite avec laquelle, cinq ans après la création, un nouveau metteur en scène s’empare ici de la demoiselle pour lui trouver de nouveaux accents.

Toute l’action tient en une cuisine de château en Suède. C’est une vision décatie et bricolée que nous en offre la scénographie d’Alain Lagarde, contrairement à celle, clinique et solide, de la production de Bondy. Bâches en plastique qui s’envolent sous la tempête, tuyaux vieillots qui prennent l’eau… plus que la rigueur bergmanienne d’une vie de domestique, on sent là la précarité méprisante dans laquelle le comte – invisible, et qui ne se signale que par le bruit de sa chasse d’eau – maintient les communs de ses gens, faisant de la cuisine aussi bien une remise à déchets qu’une serre d’hivernage. Entre vieux pneus et plantes agonisantes, Kristin, la jeune cuisinière, tient pourtant son rang et son honneur : travailler, aller à la messe, servir ses maîtres et son fiancé, et fredonner toujours.

Dans ce personnage à la force étrange et peu exprimée, qui trace son chemin en ligne droite et fière au milieu des égarements de ses comparses frustrés, Agnieszka Slawinska est très juste de couleur vocale – « claire et nette », aux aigus sûrs – et d’esprit, où l’on sent un petit cœur durci de trop de calculs. Alexander Knop est un mauvais garçon idéal : dégingandé mais dégainant son muscle sans prévenir, débordé par des désirs impulsifs et des rêves d’ascension sociale mais sans courage ni vision, corps dressé à servir malgré lui. Un regard vide par-ci, un geste échappé par-là, l’interprète est un Jean inquiétant et pitoyable, solide de voix lui aussi. Julie, enfin, est servie par une Carolina Bruck-Santos au beau mezzo et à la beauté altière (un visage qui semble dessiné par Khnopff), plus à l’aise dans la séduction conquérante que dans la perdition. Tout au plus regrettera-t-on la mort que lui destine Matthew Jocelyn – la corde plutôt que le rasoir –, qui nous prive du parallèle sanglant que le livret tissait habilement avec celle de son cher serin, décapité par Jean au tranchoir. Le metteur en scène fait néanmoins, de bout en bout, œuvre de remarquable directeur d’acteurs. Ce plateau très finement mis au point, avec en fosse l’Ensemble Musiques Nouvelles sous la direction de Jean-Paul Dessy, fait honneur à la musique de Boesmans, à son univers dramaturgique, comme à la programmation inventive de l’Athénée.


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