Quel plaisir de retrouver encore la production vivifiante et magique de Coline Serreau ! Captée en avril 2002 pour une édition DVD dont nous avions souligné l’excellence par une Révérence (cf. l’ASO n° 246), elle garde 7 ans plus tard sa fraîcheur, sa drôlerie, son rythme, adaptés désormais à une nouvelle distribution de haut vol.
On y découvre, pour des débuts à l’Opéra de Paris qui font espérer de le revoir bientôt, l’Almaviva insolent d’aisance technique d’Antonino Siragusa. Vocalisation rapide et précise, homogène et coulée, le ténor rossinien affiche la distance un peu amusée qui sied à sa performance. Nous gratifiant d’un «Cessa di più resistere» d’anthologie, il déclenche une ovation du public qui, exactement comme le redoutait Rossini avec cet air qu’il supprima plus tard de sa partition, interrompt le cours du spectacle et le porte au triomphe de l’avant-scène. Quelque part entre Manuel García, le créateur du rôle, et… Zinedine Zidane, pour le crâne ras et les traits dribblés ballon au pied devant un chœur agitant les drapeaux italiens de la Juve…
Ainsi la mise en scène de Coline Serreau suit-elle de près ses interprètes et leurs talents multiples, ouvrant à chaque fois des fenêtres au second degré dans le fil d’une intrigue du reste magistralement illustrée par les décors mauresques et foisonnants de Jean-Marc Stehlé et Antoine Fontaine. Ce zig-zag entre clins d’œil extérieurs et narration fidèle saupoudre avec légèreté quelques doses de hip-hop (Berta), de flamenco (la sérénade d’Almaviva) ou même de Panthère rose au continuo, agissant comme autant d’épices sur le tableau oriental de la scénographie et des costumes (somptueux, d’Elsa Pavanel). Une lecture piquante des personnages s’ajoute à ces trouvailles : Rosina devient avec évidence une jeune femme voilée (de moins en moins, d’ailleurs, au cours des événements…) et surveillée de près par un barbu obsessionnel. L’art de Coline Serreau étant de conserver tout son humour à cette dénonciation des machismes obtus, et de susciter les rires tendres même face à ce Bartolo enturbanné, finalement pathétique et loufoque.
Si le Docteur d’Alberto Rinaldi est un peu court de voix et de timbre, si le Basilio de Paata Burchuladze étale au contraire un matériau trop bâillé et peu net quoique large, le Figaro de George Petean impose un tempérament inépuisable et une voix idéale de couleur, d’assurance et de volubilité pour le Barbier. Quant à la Rosina de Karine Deshayes, elle enchante par la rondeur veloutée du timbre, l’élégance du phrasé, l’équilibre rare entre profondeur des graves et cuivré des aigus. Elle s’impose comme une grande rossinienne d’aujourd’hui – elle qui incarnera aussi, cette saison, les rôles-titres de La Cenerentola (à Avignon) et de La Donna del Lago à l’Opéra de Paris. Que tous aient supporté sans faillir près d’une heure de bruits de régie parasites et largement audibles dans la salle ajoute à leur mérite. Une soirée exceptionnelle, dont la bonne humeur vient soulager la terrible détresse du Wozzeck qui occupe également le plateau de Bastille ces jours-ci.
C.C.