Irina Lungu (Mimì), Giorgio Berrugi (Rodolfo), Kelebogile Besong (Musetta), Massimo Cavaletti (Marcello), Benjamin Cho (Schaunard), Gabrielle Sagona (Colline), Matteo Peirone (Benoît/Alcindoro), Cullen Gandy (Parpignol), Chœur et Orchestre du Teatro Regio, dir. Gianandrea Noseda, mise en scène : Alex Ollé (Turin, 12 oct. 2016).
DVD Cmajor/Unitel 742608. Notice et argument trilingues dont français. Distr. DistrArt Musique.
Deux ans après Orpha Phelan à Malmö (lire ici), Alex Ollé propose à son tour une « Bohème du XXIe siècle », célébrant par la même occasion le 120e anniversaire de la création de l'ouvrage à Turin. Si tout se tient par rapport au livret dans cette actualisation radicale, force est de constater qu'elle nous prive de la poésie qui, dans l'opéra, crée l'émotion : le décor d'Alfons Flores - une immense barre d'immeuble, clonant ses fenêtres sans grâce et ses climatiseurs accrochés comme autant de verrues - emplit certes le grand plateau du Teatro Regio, mais impose aussi une tristesse infinie, traitée le plus souvent sur le mode de la pénombre par les lumières d'Urs Schönebaum. Faut-il se forcer à prendre le contrepied de l'imaginaire « Bohème » tel qu'un siècle de productions l'a, le plus souvent, assumé ? Au moins les toits de Paris vus d'une mansarde ont-ils la beauté d'une mer de zinc et d'un horizon ouvert... où peuvent se dessiner les espoirs, les promesses - rendant alors d'autant plus sensible le drame qui les laisse éclore pour mieux les étouffer. Ici, la cité se donne d'emblée en impasse, terne et aveugle mur de fond ; l'obscurité est telle qu'elle empêche cette petite flamme, qu'elle soit d'une bougie ou d'un regard soudain croisé, de vivre avant de vaciller.
Et pourtant... c'est l'une des plus belles Bohème que l'on ait récemment entendues en vidéo ! Sous la direction généreuse de Noseda, qui ose déployer les effusions d'un grand lyrisme mais sait les soustraire à tout danger de facilité, chacun déjoue les attendus : Lungu est une Mimì au timbre corsé, ample, qu'elle saura rendre fragile mais qui jamais ne minaude vocalement son personnage ; Berrugi allie un slancio musculeux avec un style profondément châtié, et possède un timbre à l'exact mitan entre ombre et soleil ; Besong offre une Musetta aux antipodes des caricatures trop fréquentes, chant opulent plutôt que pointu, intentions plus voluptueuses que coquettes ; les Bohèmes sont parfaits et parfaitement appariés à leur Rodolfo, tous mûrs de timbre et de jeu, jusqu'à un Colline profond et sonore. Une vidéo... à écouter avec gourmandise !
C.C.