Camilla Nylund (la Maréchale), Paula Murrihy (Octavian), Hanna Elisabeth Müller (Sophie), Peter Rose (Ochs). Orch. Phil. des Pays-Bas, dir. Marc Albrecht (live, 2015).

CD Challenge Classics CC72741 (3 CD). Distr. NewArts International.

 

Voilà une heureuse surprise. Quand on voit arriver en 2017 une nouvelle version audio du Chevalier à la rose, autrement dit courant le risque de se mesurer à Karajan, Kleiber, Solti, Böhm et tant d'autres, on a tout lieu d'être méfiant. Pourtant, ce live capté à l'Opéra d'Amsterdam en 2015 fait plus que ne pas démériter. Et si l'on n'a jamais été tenté de pratiquer l'avance rapide en plus de trois heures d'écoute, c'est d'abord le mérite du chef, Marc Albrecht, qui se confirme comme un des meilleurs spécialistes actuels de l'opéra allemand. Certes, on pourra trouver lectures plus charmeuses, plus viennoises, que la sienne. Mais cet excellent wagnérien qui connaît son Schönberg maîtrise comme rarement la complexité de l'écriture straussienne, dont il restitue avec une hauteur de vue souveraine la fascinante modernité. Sa direction est le meilleur des démentis au stéréotype selon lequel le Strauss radical de Salomé et d'Elektra aurait fait un pas en arrière avec la douceur néo-mozartienne du Rosenkavalier : on avait rarement entendu à quel point le style straussien fait un tout, jusqu'à se citer lui-même, et combien le Chevalier est bel et bien une musique des années 1900. L'orchestration affiche ici en pleine lumière ce qu'elle a de formidablement clair et foisonnant, grâce à une baguette qui inscrit le détail (toujours juste) dans une perspective globale admirablement cohérente. Lecture analytique mais en rien asséchante, à laquelle le Nederlands Philharmonisch Orkest, formation titulaire de l'Opéra d'Amsterdam dont Albrecht est directeur musical, apporte une rigueur et une netteté exemplaires, même si l'on connaît orchestres plus séducteurs.

C'est clairement une version de chef, mais on pourra aussi compter sur une découverte vocale : l'Octavian de l'Irlandaise Paula Murrihy révèle une voix radieuse et puissante mais toujours souple et focalisée. On ignorait tout d'elle avant de recevoir cet enregistrement, on a résolument envie d'en savoir plus. Le reste est moins révolutionnaire : la Sophie de Hanna Elisabeth Müller est d'une parfaite musicalité mais il lui manque la liquidité diaphane des aigus qui donnerait la chair de poule dans la présentation de la rose ; la Maréchale de Camilla Nylund est sans reproche sur le strict plan vocal mais sa retenue expressive (pour ne pas parler de froideur...) reste sensiblement en-deçà des attentes émotionnelles liées à ce rôle qui doit vous faire monter les larmes. Ochs solide, routinier mais point trop vulgaire de Peter Rose, excellents seconds rôles, à commencer par le Faninal exemplaire de Martin Gantner. On n'a pas vu la mise en scène de Jan Philipp Gloger qui servait de support à cette bande sonore : si elle était à la hauteur de l'exécution musicale, les spectateurs amstellodamois ont dû passer un bon moment. En attendant une éventuelle captation vidéo, ces trois CD permettent de mesurer la qualité musicale du Nederlandse Opera.

C.M.