Hermann Prey (Schwanda), Lucia Popp (Dorotka), Siegfried Jerusalem (Babinsky), Gwendolyn Killebrew (la Reine), Alexander Malta (le Magicien), Siegmund Nimsgern (le Diable), Chœur et Orchestre de la Radio Bavaroise, dir. Heinz Wallberg (1980).

CD Sony 88985470412 (rééd.). Distr. Sony.

 

Un brigand de grand chemin enjôleur, un joueur de cornemuse vénal mais aimé de son épouse dont pourtant le cœur balance entre les deux, une reine possédée par un magicien et un acte désopilant aux enfers, voilà les ingrédients de ce Schwanda qui, une fois traduit du tchèque à l'allemand, ensorcela les scènes lyriques germaniques puis celle du Metropolitain Opera de New York, entraînant dans ses musiques brillantes le Babinsky de Julius Patzak, le Diable de Friedrich Schorr, le Schwanda de Paul Schöffler, les Dorotka de Maria Müller et de Viorica Ursuleac, la Reine de Karin Branzell, Erich Kleiber ou Clemens Krauss conduisant l'œuvre au triomphe - époque historique, probablement irrésistible, dont il ne nous reste pas même des miettes. L'ère nazie effaça ce succès coulé de la plume d'un compositeur non seulement juif, mais par surcroît tchèque ; la paix revenue, les radios allemandes tentèrent de ressusciter Le Joueur de cornemuse, Willfrid Zillig dirigeant en 1948 à Francfort la version révisée avec une distribution exemplaire où brillaient le Schwanda de Karl Schmitt-Walter et la Reine de Christa Ludwig.

Rideau, jusqu'à ce que CBS assemble autour de la Dorotka de Lucia Popp, dans le studio de Munich, à l'hiver 1979-1980, une distribution immaculée. Cette résurrection aussi inattendue que séduisante tint seulement quelques années au catalogue malgré son cast fabuleux, la beauté asphyxiante de sa prise de son et la direction parfaite de Heinz Wallberg qui retrouvait les couleurs et les rythmes très Mitteleuropa d'un opéra venu absolument de la tradition tchèque par son intrigue, sa pointe de fantastique teintée d'humour, la verve de ses mélodies populaires savamment réinterprétées et ses rythmes effrénés. Il sut aussi lui donner ce ton de grande opérette qui évoque Lehár - car tout dans cette musique enthousiasmante est fait pour le plaisir, jusque dans les audaces que le compositeur se permet (le charivari des enfers), conscient qu'il écrit un ouvrage contemporain du Wozzeck de Berg, du Cardillac de Hindemith : l'année même de la création pragoise de Schwanda, Leipzig s'exclamait devant le Johnny spielt auf de Krenek ! Pourtant Schwanda, par la grâce de son invention, son génie mélodique, ne sonne jamais « contre » son époque. Le formidable livret tiré par Milos Karel du conte pour enfant de Kajetan Tyl n'est pas pour peu dans ce succès majeur et fugace d'un opéra d'abord tchèque qui enchantait Lucia Popp (née slovaque). A sa suggestion, Theodor Holzinger inscrivit l'œuvre parmi les projets discographiques de la Radio de Munich, CBS cherchant à étendre le répertoire de son catalogue lyrique (la même année, Marek Janowsky y enregistrait la Violanta de Korngold). Sa Dorotka est irrésistible, évidemment, mais tous sont formidables, le Schwanda si subtilement campé par Hermann Prey, le Babinsy en grande voix de Siegfried Jerusalem, hâbleur et touchant tour à tour, le Diable débonnaire de Siegmund Nimsgern, la Reine glaciale et sadique de Gwendolyn Killebrew, le Magicien d'opérette d'Alexandre Malta : ils prennent un plaisir sans mélange à ressusciter cette perle oubliée.

Depuis, la version originale (en tchèque) a reparu au Festival de Wexford (Naxos), le Semper Oper de Dresde a remonté la mouture allemande en 2012 avec une distribution finement appariée. Mais il faut en convenir : la réédition de cet enregistrement somptueux les éclipse avec une aisance déconcertante.

J.-C.H.