Jun-Sang Han (Pâris), Peter Galliard (Ménélas), Jennifer Larmore (Hélène), Viktor Rud (Agamemnon), Rebecca Jo Loeb (Oreste), Christian Miedl (Calchas), Dovlet Nurgeldiyev (Achille), Anat Edri (Bacchus), Chœurs de la Staatsoper de Hambourg, Philharmoniker Hamburg, dir. Gerrit Priessnitz, mise en scène : André Barbe et Renaud Doucet (Hambourg, 2014).
DVD Cmajor 730908. Distr. DistrArt Musique.
Le duo Barbe et Doucet a encore frappé : leur Belle Hélène, captée à Hambourg en 2014, c'est La Croisière s'amuse. Les deux Canadiens, bien connus à l'Opéra du Rhin - qui a vu leur Cendrillon, leur Benvenuto Cellini, leur Iphigénie - et ailleurs en Amérique ou en Europe - entre Wexford et la Volksoper de Vienne mais aussi à Bayreuth où ils ont monté Les Fées pour les fêtes du bicentenaire Wagner -, sont assez ignorés en France. Ils ont surtout la réputation de diviser : leur inventivité, leur refus de la langue de bois de la scène lyrique ou du concept et leur univers intensément coloré ont fait leur carrière mais leur ont fermé aussi nombre de scènes de premier rang.
En les voyant aborder l'une des œuvres les mieux adaptées à leur humour particulier, l'on peut croire que leur style va faire merveille. Il y a certes du rythme, auquel le chef Gerrit Priessnitz n'est heureusement pas étranger, du spectacle, façon comédie musicale, avec un maximum de danses - Renaud Doucet étant autant metteur en scène que chorégraphe -, de la couleur et du rire dans le décor unique - le pont supérieur du Jupiter Stator, un paquebot de croisière jaune et bleu layette qui finit cependant par lasser - et les costumes d'André Barbe, mais leur sens du gag s'avère souvent bien lourd, jusqu'à montrer Angela Merkel avec une brouette d'euros ponctionnés sur le peuple grec quand Ménélas lui annonce qu'il payera les génisses du sacrifice à Cythère (rires et applaudissements !). On est, de fait, partagé ; et l'on restera fidèle en vidéo à la version Pelly, autrement subtile.
Mais l'épreuve n'est pas là, en fait. Peu importe qu'on ait drastiquement coupé les dialogues, que le concours soit réduit au seul calembour sur les cornichons et Calchas ; c'est au niveau vocal que l'on souffre. Avec notre langue d'abord, laquelle, par une équipe qui ne comporte aucun Français, a bien du mal à passer le stade de la simple articulation. Il n'y a guère que le Chalcas de Christian Miedl et la Reine de Jennifer Larmore pour sauver l'honneur. D'Oreste - Rebecca Jo Loeb, qui chante fort bien - on ne comprendra pas un seul mot... Au delà des subtilités de la langue, le chant appelle lui aussi quelques réserves de taille. À commencer par la vedette sans laquelle on n'imagine plus monter ce répertoire aujourd'hui. Jennifer Larmore fut de la cohorte divine... il y a un certain temps. L'organe peine désormais : les tenues sont délicates, l'aigu bouge, le timbre est devenu aigre et le style est celui d'une soubrette plus que d'une princesse, même de boulevard. Certes, à partir de l'Invocation à Vénus, la voix enfin chauffée tient un peu mieux son rang, mais on est loin de l'égalité et de la maîtrise requises. Et la transformation finale de son évocation de la fatalité en démonstration de cocottes ranimera des souvenirs passés mais n'offrira pas d'éblouissements aujourd'hui. Le Pâris de Jun-Sang Han fait ce qu'il peut, souvent bien, parfois mal ; les rois sont sans vrai rang, seul Christian Miedl tire encore avec style son épingle du jeu. Maigre bilan.
P.F.