Piotr Beczala (Faust), Ildar Abdrazakov (Méphisto), Maria Agresta (Marguerite), Alexey Markov (Valentin), Tara Erraught (Siebel), Paolo Rumetz (Wagner), Marie-Ange Todorovitch (Marthe), Philharmonia Chor Vienna, Wiener Philharmoniker, dir. Alejo Perez, mise en scène : Reinhard von der Thannen (Salzbourg, 2016).
DVD EuroArts 2097038. Distr. Warner.
Si Salzbourg a pu aisément servir de référence pour l'exécution de nombre d'opéras de Mozart, Verdi ou Strauss, de la grande tradition allemande et parfois de la modernité - grâce à sa politique continue de créations, de Dantons Tod de Einem en 1947 à The Exterminating Angel de Adès l'an dernier, et à l'intégration par Gerard Mortier, en son temps, d'une importante partie du répertoire du XXe siècle, de De la maison des morts à Lulu, de Mahagonny au Grand Macabre -, le Festival n'a jamais vraiment brillé en matière de répertoire français : rien avant-guerre (!), Le Vin herbé de Frank Martin y fut certes créé en 1948 mais en allemand (comme en 1991 la Juliette de Martinu) et il fallut attendre 1966 pour que Carmen soit de fait le premier opéra français à paraître sur la scène du Grosses Festspielhaus, suivi en 1980 par Les Contes d'Hoffmann et en 1986 par Le Martyre de saint Sébastien. Coup d'accélérateur effectif avec Mortier encore qui imposa Saint François d'Assise, La Voix humaine, L'Histoire du soldat, La Damnation de Faust, Pelléas, Les Boréades, La Belle Hélène, L‘Amour de loin, Iphigénie en Tauride ou Les Troyens, pour certains à des niveaux d'excellence qu'on n'a pas revus ici depuis. Certes Roméo et Juliette, Samson et Dalila, Les Contes, Alceste, Benvenuto Cellini, Moïse et Pharaon, Carmen, Charlotte Salomon, La Favorite ou Werther, plus souvent en concert qu'en scène, ont entretenu la flamme, mais sans imposer une seule production marquante ou historique. Comme si la culture française restait étrangère aux programmes du Festival.
Ce n'est assurément pas ce Faust capté à l'été 2016 qui changera la donne. On peut être un excellent décorateur (pour Neuenfels par exemple, dont Reinhardt von der Thannen a réalisé l'écrin du Lohengrin de Bayreuth, entre autres), on ne s'improvise pas metteur en scène. Et von der Thannen s'y fourvoie ici à fond. Un beau décor en soi (un œil stylisé autour d'un iris ouvert sur les visions qui passent (Marguerite sur une tournette !), une transposition dans un XIXe siècle stylisé, un clin d'œil au clown blanc comme leitmotiv des costumes, des tableaux où prime la géométrie et l'esthétisme mais en annihilant l'action ne font ni une vraie mise en scène ni un regard sur l'œuvre. La plaquette d'accompagnement fournit pourtant (en anglais et allemand seulement) des pages d'analyse qui semblent pertinentes et prometteuses, mais on n'en retrouvera rien sur scène. On aurait pu sauver la chose par une direction d'acteurs inventive, engagée. Mais c'est la plus banale qui soit, faite de poncifs et d'absence. Rien à regarder vraiment, et rien à mémoriser dans ce premier degré consternant.
Reste alors le versant musical du spectacle, autrement tenu, mais pas totalement convaincant. Alejo Perez dirige avec assurance un orchestre de rêve et des chœurs somptueux - c'est déjà cela - et offre ainsi un Faust plus chatoyant que dramatique. La distribution, si l'on excepte un Wagner inacceptable, est de rang. Le Méphisto d'Abdrazakov chante superbement mais sans vraie profondeur et reste pratiquement incompréhensible - curieux : pour le Don Carlos de Paris, il l'était tout à fait ; aurait-il manqué du coach indispensable ? Le Faust de Beczala, chaleureux, rayonnant, investi, excellent de français, fait songer à Gedda mais sans l'infinie subtilité, les demi teintes absolues, les merveilles de ton : du beau chant, mais un peu assené de façon démonstrative. Agresta, elle, est quasi parfaite et emporte même dans son élan lyrique et stylistique son partenaire pour leur duo, magnifique, éthéré. Markov traîne un peu mais au moins articule et a du timbre et du ton : son Valentin viril est simplement beau. Tara Erraught est un délicat Siebel et Marie-Ange Todorovitch une Dame Marthe parfaite. Mais pour les rendre irrésistibles, il aurait sans doute fallu un autre écrin. Dommage, c'est raté, sauf à couper l'image...
P.F.