Krassimira Stoyanova (Danae), Tomasz Konieczny (Jupiter), Gerhard Siegel (Midas), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Pollux), Norbert Ernst (Merkur), Regina Hangler (Xanthe), Chœurs de l'Opéra de Vienne, Wiener Philharmoniker, dir. Franz Welser-Möst, mise en scène : Alvis Hermanis (Salzbourg 2016).
DVD Euroarts 8024297028. Distr. Warner.
Salzbourg devait donner une seconde chance à cet Amour de Danaé dont la création fut ajournée in extremis en août 1944, juste après la générale. Clemens Krauss eut le temps d'en diriger la première - retardée jusqu'en 1952 - mais la comédie mythologique de Strauss, qui cache à peine une grande opérette douce-amère, y perdait et la Danaé d'Ursuleac, et le Jupiter de Hans Hotter, se consolant avec Kupper - un rien courte d'élan, solide, guère sensuelle - et surtout Schöffler, campant un Jupiter rogue, aboyeur, misogyne, assez inégalable.
Revenant au Festpielhaus, la fille d'Eurydice trouve enfin une voix, celle de la plus belcantiste des straussiennes de l'heure, Krassimira Stoyanova, admirable de ligne, de pulpe, élégante et brillante lorsqu'il faut aller aux aigus que le compositeur lui demande pleins et pourtant légers. Elle y égale Leonie Rysanek, inoubliable et heureusement documentée en 1953 par une captation de l'Opéra de Munich en déplacement à Londres. Incarnation parfaite qui, d'un coup, dévoile l'ultime grand rôle féminin coulé de la plume du Strauss de la maturité, au point qu'on en oublie les pauvres mots de Gregor manquant de la poésie ou du théâtre qu'Hofmannsthal y aurait glissés : le canevas était initialement de son imagination.
Coup de génie équivalent pour Jupiter ! Tomasz Konieczny a exactement la voix de l'emploi, le ton mâle de la basse et l'élan mordant du baryton, Wotan d'opérette transformé en un séducteur libidineux, qui ici débraille son chant pour mieux montrer le caractère carnassier de ses « amours ». Midas selon Gerhard Siegel reste en deçà de ce que veut Strauss, chantant aussi honnêtement qu'il le peut - mais il lui manque un timbre séduisant (Dermota, Wunderlich hier l'auraient doré encore plus, aujourd'hui Beczala y serait idéal) pour donner à la grande scène de l'acte II et à toute la première partie de l'acte III un lustre supérieur, et à sa fuite avec Danaé libérée une vraie envolée. Broutilles, car l'or est dans l'orchestre fluide et tonnant que Franz Welser-Möst anime avec une sensualité, des diaprures, des souffles qui transfigurent la comédie en poème et parfument son ironie, ses doubles-sens, sa morale finale où Midas triomphe et Danaé se pâme sur un aigu libérateur.
Le bonheur est encore plus parfait lorsque l'on voit le spectacle impeccable qu'Alvis Hermanis invente, finement dirigé, fidèle aux didascalies, aussi inspiré que sa régie transcendante des Soldaten au Manège des Rochers. Décidément Salzbourg l'inspire. On peut aimer ou non le kitsch des décors, le grand éléphant blanc, cet or glacial, mais ce spectacle exemplaire atomise la production plus brouillonne du Staatsoper Berlin. Et maintenant, s'il vous plaît, la même équipe plus un grand ténor : Die Ägyptische Helena attend son heure depuis trop longtemps.
J.-C.H.