Sonia Prina (Silla), Martina Belli (Claudio), Sunhae Im (Metella), Vivica Genaux (Lepido), Roberta Invernizzi (Flavia), Francesca Lombardi Mazzulli (Celia), Europa galante, dir. Fabio Biondi (2017).

CD Glossa 923408. Notice en français. Distr. Harmonia Mundi.

 

Admettons-le : le plus négligé des opéras de Haendel est celui qui mérite le plus de l'être. De ce [Lucio Cornelio] Silla (1713), quatrième ouvrage italien écrit par le Saxon pour Londres, on ne sait à peu près rien, et notamment pas s'il fut jamais représenté - aucun compte-rendu ne le mentionnant, aucun matériel d'exécution n'ayant subsisté. Le bruit a longtemps couru qu'il avait été composé pour une occasion privée, une représentation chez le comte de Burlington ou au profit de l'ambassadeur de France. Possible. Il conviendrait peut-être aussi de souligner les ressemblances de cet ouvrage modeste - de par ses proportions, la facture de ses airs, souvent accompagnés du continuo, ses exigences vocales et théâtrales - avec Il pastor fido qui, comme lui, s'insère entre deux titres plus spectaculaires : de même qu'Il pastor fido semble avoir servi d'intermède entre Rinaldo et Teseo, Silla a pu servir d'amuse-bouche entre Teseo et Amadigi (deux drames vigoureux inspirés du répertoire français)... Silla pêche surtout par son livret, pochade grotesque et décousue due au médiocre Giacomo Rossi, déjà coupable des textes de Rinaldo et du Pastor fido : le tyran romain Sylla (futur héros d'un opéra mozartien) n'y est représenté que sous les traits d'un Don Juan au petit pied, frénétiquement attiré par toutes les femmes de sa cour, hormis la sienne. Quoi qu'on ait prétendu, la musique de Haendel s'accommode mal d'une pièce dépourvue de situations fortes, de véritables personnages, d'enjeu : le Saxon a beau truffer la partition de délicieux extraits de ses cantates de jeunesse (ainsi que d'Agrippina et de La resurrezione), celle-ci ne « décolle » jamais vraiment, et tous ses meilleurs moments s'épanouiront davantage dans Amadigi (qui recycle un bon quart des morceaux).

Cela dit, la direction de Biondi, virile, souvent rapide, attentive à l'enchaînement des airs et récits, tire le meilleur parti de l'œuvre, notamment au fil d'un troisième acte fort réussi. Réalisée sur trois jours, la captation préserve la théâtralité du live au prix de quelques déséquilibres : l'orchestre sonne parfois un peu « gras » et la trompette solo prédomine trop dans le finale de l'acte I. Il faut dire qu'une erreur de casting a ici été commise : pourquoi avoir confié le rôle du jeune premier à une Martina Belli à la voix lourde, hétérogène, à l'émission embarrassée plutôt qu'à Vivica Genaux, réduite à jouer (fort bien) les utilités ? Biondi n'apprécie guère les altos masculins, semble-t-il, et sa distribution réunit donc trois sopranos et trois mezzos (auxquelles s'ajoute une très épisodique basse), ce qui engendre forcément quelque monochromie. Regrettons aussi l'émission droite de Sunhae Im, qui rend précaire la justesse de son premier air. Le reste est plus que convenable : Prina se montre idéalement rogue et martiale dans le rôle-titre, tandis que Mazzulli et, surtout, Invernizzi ont de fort beaux moments (superbe « Stelle rubelle » !). En somme, une bonne version - supplantant sans peine la pâle lecture de Denys Darlow (Somm, 2000) - d'une œuvre secondaire.

O.R.