Piotr Beczala (Lohengrin), Anna Netrebko (Elsa), Evelyn Herlitzius (Ortrud), Tomasz Konieczny (Telramund), Georg Zeppenfeld (Henri l'Oiseleur), Derek Welton (le Héraut). Orchestre de la Staatskapelle de Dresde, Chœur de l'Opéra d'État de Saxe, dir. Christian Thielemann. Mise en scène : Christine Mielitz (Dresde, mai 2016).
DVD DG 00440 0735329. Distr. Universal.
Événement marquant des annales wagnériennes des dernières années, ce Lohengrin dresdois s'impose par ses mérites musicaux bien plus que par ses qualités scéniques. Pour les grands débuts wagnériens de Piotr Beczala et d'Anna Netrebko, le Semperoper s'est en effet contenté de reprendre la vieille production de Christine Mielitz donnée pour la première fois en janvier 1983 non pas en ses murs - la reconstruction du vénérable théâtre détruit par la guerre n'ayant été achevée qu'en 1985 -, mais au Schauspielhaus. Dans un décor composé de vastes panneaux amovibles représentant aussi bien la prairie au bord de l'Escaut que la place devant l'église d'Anvers ou la chambre nuptiale, l'intrigue semble déplacée à l'époque wilhelminienne, si l'on en juge par les costumes comprenant néanmoins des touches qui évoquent clairement le Moyen Âge. Dans un dispositif scénique efficace à défaut d'être chatoyant, le cygne démesuré qui apparaît aux premier et troisième actes est d'un kitsch qui défie l'entendement et surpasse en mauvais goût tout ce qu'a pu imaginer Louis II de Bavière... Livrés à eux-mêmes, les solistes doivent composer avec une mise en scène indigente qui frise le ridicule au deuxième acte, lorsque Elsa et les nombreuses femmes de sa suite portant son immense traîne traversent inlassablement la scène dans un sens puis dans l'autre sans savoir quand s'arrêter...
Plutôt que de relever les maladresses d'une mise en scène bien décevante, il vaut mieux se concentrer sur les splendeurs sonores d'une version qui nous permet d'entendre enfin l'Orchestre de la Staatskapelle de Dresde dans cette œuvre que la prestigieuse phalange interprète depuis 1859. Grâce à une prise de son qui respecte parfaitement l'équilibre entre les différents pupitres, la partition de Wagner sonne de façon absolument somptueuse. Sachant ménager ses effets, Christian Thielemann tient la bride à ses musiciens dans le prélude avant de les laisser atteindre un superbe fortissimo. Après deux actes qu'il est permis de trouver un peu retenus, sa direction s'enflamme au dernier acte et rend le drame haletant : cordes survoltées dans le prélude, cuivres d'une plénitude jubilatoire, bois capiteux, sens dramatique jamais pris en défaut. Devant une telle réussite, on regrette d'autant plus que Thielemann n'ait pas renoncé à la malencontreuse coupure habituelle succédant au récit du Graal.
En ce qui regarde la distribution, disons d'emblée que le couple vedette relève globalement de façon brillante le défi d'endosser pour la première fois les rôles de Lohengrin et d'Elsa sur une des plus grandes scènes lyriques d'Allemagne. En excellente forme vocale, Piotr Beczala campe un Chevalier un peu distant, au jeu sobre et un rien indifférent à l'action. Si aucune scorie ne vient véritablement entacher un chant d'une grande probité, son Lohengrin manque d'ardeur, de demi-teintes et de contrastes, suscitant non pas une adhésion totale, mais plutôt une sorte de froide admiration. Anna Netrebko, dont cette Elsa constitue vraisemblablement - selon ses déclarations - la seule incursion dans le répertoire germanique, laisse en définitive une empreinte plus forte sur son rôle. Malgré des intonations souvent prises en défaut et une diction trop molle, elle nous réserve des instants de pur bonheur musical grâce à la plénitude de sa voix et à des pianissimi de rêve, notamment dans « Euch Lüften » et dans son duo avec Ortrud. Admirable de bout en bout, sa grande scène du troisième acte avec Lohengrin nous fait regretter les Sieglinde ou Elisabeth qu'elle aurait pu ajouter à son répertoire...
Débutant lui aussi dans son rôle, Tomasz Konieczny est un Telramund au jeu assez gourd et dont l'émission vocale fluctue de façon curieuse. Face à lui se dresse la terrifiante Ortrud d'Evelyn Herlitzius, déjà entendue dans le même rôle à Dresde en 2002 et 2008. Terrifiante de par sa forte incarnation, parfois à la limite de l'expressionnisme, et aussi en raison d'une voix torrentielle, vociférante et malheureusement délabrée. Moins éblouissant que dans la captation de Lohengrin réalisée à Bayreuth en 2011, le roi de Georg Zeppenfeld demeure tout de même un chanteur extrêmement solide doté d'une belle sensibilité musicale. Pourvu d'un timbre suave, Derek Welton est un Héraut de grande classe, mais qui montre vite ses limites dans les passages exposés. Enfin, les chœurs ajoutent au régal sonore d'une version qui, sans se hisser au sommet de la vidéographie, compte parmi les jalons importants de l'interprétation wagnérienne de notre époque.
L.B.