Andrei Popov (le Gaucher), Edward Tsanga (Platov), Vladimir Moroz (Alexandre Ier, Nicolas Ier), Kristina Alieva (la Puce), Maria Maksakova (la princesse Charlotte), Andrei Spekhov (le Second Capitaine), Orchestre et Chœur du Théâtre Mariinsky, dir. Valery Gergiev, mise en scène : Alexei Stepanyuk (Saint-Pétersbourg, juillet 2013).
DVD et Blu Ray Mariiinsky MAR0588. Distr. Harmonia Mundi.
Pierre Rigaudière vous a tout dit sur l'œuvre, sixième opéra de Chtchedrine composé pour le soixantième anniversaire de Valery Gergiev qui en assura la création en son théâtre (lire ici). Le Mariinsky avait édité la bande de son, voici le spectacle filmé. La nouvelle de Leskov aura fourni au compositeur un matériau aussi relevé que celui puisé chez Gogol pour son seul vrai succès lyrique : ses aventureuses Ames mortes auront compté dans le grand concert de la fin des années soixante-dix.
Comme déjà il l'avait fait pour cet opus, Chtchedrine se sera taillé avec sa propre plume un livret leste de pur théâtre, très efficace, tout en brèves scènes virtuoses. Mais, sur un sujet envisagé quasi entièrement sous un angle ironique, cet art reste un rien superficiel, brillant, caustique, et le spectacle habile s'y accorde, qui se regarde sans jamais relâcher l'attention. L'hiver russe est perpétuel, la neige tombe en des vidéos continues, le séjour à Londres est campé par quelques cabines téléphoniques emblématiques et un groupe de danseuses habillées en gardes de la Reine tout aussi rouges (elles montreront leurs dessous, également écarlates) que les cabines sur lesquelles veille Big Ben. Tout cela d'époques mêlées, comme l'indique le vestiaire qui caracole des costumes de la Russie impériale aux débraillés du XXIe siècle.
Pas de direction d'acteurs, mais les chanteurs sont assez acteurs eux-mêmes. De son ténor léger Popov campe en deux mots et en trois gestes le penchant du Gaucher pour la vodka et souligne combien les suraigus de son rôle proviennent en droite ligne de ceux de l'Astrologue du Coq d'or et du Gendarme du Nez - ténor contraltino ; Vladimir Moroz met une autorité à double tranchant dans ses Tsars dont l'un est l'étrange miroir de l'autre ; Kristina Alieva fait une Puce désopilante d'abord par le chant - son air d'entrée est étourdissant avec ses pianissimos extatiques et ses onomatopées, et rappelle que la caractérisation des personnages, qu'ils soient de chair ou mécaniques, est ici tout entière dans leur vocalité. Grand moment : la tempête durant le voyage vers Albion.
Tout cela se regarde avec un plaisir certain, Alexei Stepanyuk ayant concocté avant tout un brillant spectacle d'anniversaire. Valery Gergiev souffle les bougies de ce gâteau à l'arsenic avec gourmandise. L'orchestre irréel et tonnant que lui a écrit Chtchedrine est l'un des plus virtuoses, des plus habiles, des plus irrésistibles qui aient jamais coulé de sa plume. Gergiev rendra-t-il la pareille à Chtchedrine en montant sa Lolita, fabuleuse version lyrique du roman de Nabokov dont la création à Stockholm en 1994, malgré Rostropovitch à la baguette, fut sans lendemain ?
J.-C.H.