Joan Sutherland (Lucrezia Borgia), Alfredo Kraus (Gennaro), Anne Howells (Maffio Orsini), Stafford Dean (Alfonso d'Este), Chœur et Orchestre du Royal Opera House, dir. Richard Bonynge, mise en scène : John Copley (Londres, 29 mars 1980).

DVD Opus Arte OA 1237 D. Format 4:3, sous-titres en anglais. Pas de présentation, synopsis trilingue dont français. Distr. DistrArt Musique.

 

Pour tous ceux que n'effraient ni le visionnage d'un DVD les yeux fermés ni l'hédonisme vocal le plus coupé de tout sens dramatique - bref, pour les adeptes du « Je chante, donc je suis » et du « Miroir, mon beau miroir », ce sera la Révérence : car l'on chante admirablement bien Lucrezia Borgia ici, si bien que la captation de ce cast d'anthologie est devenue mythique et que sa résurrection, après un passage confidentiel par le label Kultur, tient de l'événement. Souplesse et brillance de Lucrezia Sutherland (en faiblesse de graves toutefois), style châtié et clarté insolente de Gennaro Kraus, en passant par un Alfonso parfaitement menaçant et un Maffio Orsini stylé et d'une belle homogénéité (quoiqu'un rien étroit) : bravi !

Mais pour ceux qui aiment que l'opéra soit aussi émotion théâtrale... le second degré sera le seul moyen de supporter ce qui n'est plus, aujourd'hui, regardable. La Renaissance des Borgia justifie ici une débauche d'ors et de couleurs, de brocarts et de velours, de crevés, pierreries, broderies, tapis, tentures : dans des décors qui étoufferaient Zeffirelli lui-même, des costumes démesurés tout en volumes - tout un kitsch rutilant qui ferait passer la Gay Pride pour un défilé de moniales en prière et qui, tentant de ressusciter l'Histoire, encombre finalement le regard, l'esprit et le plateau. On a connu John Copley mieux inspiré. On sauvera les quelques scènes collectives où un semblant d'esprit de troupe vient relier les énergies et où la fête permet de justifier le côté touriste de chacun. Mais hélas, comment croire à des personnages quand ni Sutherland ni Kraus ne semblent un instant concernés par ce qu'ils disent et chantent, quand le déguisement de l'une au Prologue (improbable résultat d'un « concours du plus lourd costume » gagné par Michael Stennett ?) défie la perruque à brushing de l'autre, digne du Prince de Shrek ? Ajoutez les micros de captation mal équilibrés, les chœurs souvent décalés en dépit de la direction tout à son affaire de Richard Bonynge... et la Révérence tourne au cœur brisé.

Aux amoureux de Lucrezia Borgia, on recommandera de ne surtout pas regarder le dernier « Ah, madre ! » d'un Kraus moustachu (distançant Cotillard dans The Dark Knight Rises) adressé à une Sutherland composant dans un sourire le placement de son visage pour sa réponse supposément désespérée. Surtout pas. Mais de les écouter - parce que ce chant...

C.C.