Véronique Gens (Proserpine), Marie-Madeleine Henry (Angiola), Frédéric Antoun (Sabatino), Andrew Foster-Williams (Squarocca), Jean Teitgen (Renzo), Mathias Vidal (Orlando), Philippe-Nicolas Martin (Ercole), Artavazd Sargsyan (Filippo/Gil), Clémence Tilquin (Une religieuse). Chœur de la Radio flamande, Orchestre de la Radio de Munich, dir. Ulf Schirmer (7 & 9 octobre 2016).

CD Palazzetto Bru Zane « Opéra français » vol. 15. Distr. Outhere.

Drôle de drame : la courtisane Proserpine n'ose avouer son amour à Sabatino, de peur qu'il ne pense qu'à la conquérir. C'est justement ce que lui intime son ami Renzo, pour qu'il s'en guérisse et puisse alors épouser sa sœur, la chaste Angiola. Sabatino comprend mal le refus de Proserpine qui, apprenant son mariage, n'aura de cesse de perdre sa rivale, aidée par un brigand auquel elle accorde ses faveurs pour en faire son âme damnée. Mais la chose finit mal : Angiola la brave, Sabatino la repousse, elle se suicide après que le jeune homme a repoussé le trait qui devait atteindre sa fiancée - du moins dans la version révisée de 1899.

Pour concocter le livret de ce drame lyrique en quatre acte, le fidèle Louis Gallet s'est emparé, avec son aval, d'une pièce de Charles Vacquerie. Saint-Saëns, lui, veut concilier la tradition et la nouveauté : « [...] le drame s'achemine vers une synthèse de différents styles, le chant, la déclamation, la symphonie réunis dans un équilibre [...] que je cherche [...]. » Et d'ajouter : « C'est pour cela que je suis renié tantôt par les wagnéristes, qui méprisent le style mélodique et l'art du chant, tantôt par les réactionnaires, qui s'y cramponnent au contraire et considèrent la déclamation et la symphonie comme accessoires. » Cet équilibre, Saint-Saëns, l'a trouvé : Proserpine contient peu d'airs stricto sensu, le monologue du troisième acte est une grande scène dramatique, le premier s'ouvre sur une sorte de conversation en musique...

Restent les voix. Pour Proserpine, Saint-Saëns est clair : « Il faut exiger [...] la Falcon du Grand Opéra : c'est un rôle qui demande de grands moyens, qui les exige même. » Falcon, Véronique Gens ne l'est certainement pas, voix ni assez charnue ni assez centrale ni assez puissante, trop liquide, sans la sensualité de la courtisane non plus. Le monologue, par exemple, révèle aussitôt ses limites. Mais l'artiste est là, le style aussi, avec cette articulation exemplaire. Le personnage ? Pas vraiment, plus fragile que fatale, si attachante pourtant... Autant de faiblesses que trahit le disque et que le concert transcendait ! Autour d'elle s'empresse en tout cas une distribution exemplaire : Sabatino stylé de Frédéric Antoun, Squarocca noir d'Andrew Foster-Williams, Renzo magnifique de Jean Teitgen, Angiola rien moins qu'oie blanche de Marie-Madeleine Henry, peut-être une future Proserpine - à condition de corriger la dureté de certains aigus : l'affrontement des deux rivales est un des meilleurs moments de l'enregistrement. S'il manque à Ulf Schirmer une palette chromatique plus étendue, sa direction confirme ses qualités de chef lyrique, solide et précis.

D.V.M.