Michael Spyres (Mitridate), Patricia Petibon (Aspasia), Myrto Papatanasiu (Sifare), Christophe Dumaux (Farnace), Sabine Devieilhe (Ismene), Cyrille Dubois (Marzio), Jaël Azzaretti (Arbate), Le Concert d'Astrée, dir. Emmanuelle Haïm, mise en scène : Clément Hervieu-Léger (Théâtre des Champs-Elysées, 2016).
DVD Erato/Théâtre des Champs-Elysées. Notice en français. Distr. Warner Music.
Une contrariété, pour commencer : le titre de l'opéra de Mozart n'est pas Mithridate, comme le clame la couverture - mais Mitridate (sans h), re di Ponto. Un détail peut-être, mais symptomatique de cette production superficielle. Clément Hervieu-Léger, dans son texte d'intention, ne parle d'ailleurs que de Racine : sans doute, l'acteur/metteur en scène « de la Comédie-Française » aurait-il préféré s'attaquer à la pièce de ce dernier (1672) plutôt qu'à l'opéra séria, certes génial mais statique, qu'un Mozart de quatorze ans en a tiré. On pense d'abord que le scénographe va nous faire le coup de la mise en abyme : lorsque le rideau se lève, nous sommes dans un théâtre décati genre Bouffes du Nord (beau décor sous-employé d'Eric Ruf), où des comédiens dépenaillés répètent, ô surprise, la tragédie racinienne (on lit ostensiblement le Petit Classique Larousse pour bien nous le faire comprendre). Mais cet artifice éculé n'est pas même exploité par la suite : nous ne parviendrons pas à savoir si les protagonistes feignent ou vivent les affects qu'ils miment de façon conventionnelle. L'interprète de Mitridate est-il un metteur en scène tyrannique ou un véritable autocrate ? Qui sont ces gens, dont certains ressemblent à des réfugiés ou des SDF ? Quels liens les unissent ? Mystère. Les pauvres « acteurs » en sont réduits, comme souvent, à s'habiller et se déshabiller, balancer des chaises par terre et se tordre les mains.
Emmanuelle Haïm ne tire pas non plus parti du clair-obscur de la partition : pleine d'énergie mais univoque, elle ne connaît pas l'art des silences et des graduations dynamiques qui faisait le prix de la lecture d'Harnoncourt. Et si l'on se réjouit que tous les airs aient été conservés (parfois dans la version « courte » prévue par Mozart, comme pour le premier de Farnace), l'ornementation apparaît problématique. Rappelons que les ornements ont pour fonction de modifier le contenu expressif d'un passage répété. Or, il y a peu de redites littérales dans Mitridate : il n'est donc pas indiqué de « varier » quelque chose qui n'a encore jamais été entendu (par exemple, la reprise de l'air d'Arbate), sous peine d'amputer la musique de Mozart ! Côté distribution, on patiente en attendant le ténor. Petibon, Papatanasiu et Dumaux font vaillamment face à des parties hérissées de difficultés, mais la première apparaît cotonneuse, surtout dans le bas-médium, les deux autres, métalliques, et tous trois, assez monochromes. Le legato charnu et l'aigu mixé de Spyres n'en semblent que plus délectables dans l'air d'entrée pourtant crucifiant du rôle-titre. S'il se fatiguera un peu en cours de soirée, l'Américain n'en parvient pas moins, à force de nuances, à humaniser un héros souvent traité en sociopathe. On n'en dira pas tout à fait autant de Devieilhe (le rôle d'Ismene, inexistant chez Racine, est difficile à caractériser), qui multiplie un peu trop les contre-notes à notre goût - mais son charme, sa virtuosité et son art du dire sont un baume pour les oreilles. Même remarque concernant les lumineux Azzaretti et Dubois qui n'ont, pour s'imposer, droit qu'à un air chacun. Rien de tout cela ne bouleverse la vidéographie, toujours dominée par les versions Harnoncourt/Ponnelle (1986, DG) et Daniel/Vick (1993, Pioneer).
O.R.