Paris, Éditions Fayard, 2017, 778 p.
Le titre semble trop modeste : "encyclopédie", "précis", "panorama" conviendraient mieux pour désigner cette somme qui met définitivement à l'abri de l'ignorance les amoureux de l'opéra slave. Non qu'André Lischke vise à l'exhaustivité : dans un postlude intitulé Regrets et Perspectives, il avoue que "toute option fait regretter celle qui aurait pu être prise à sa place", et n'avoir donc pu traiter des opéras "azerbaïdjanais, bachkirs, biélorusses, bouriates, géorgiens, kazakhs, lettons, lituaniens, moldaves, tatars, ouzbeks, ukrainiens", etc., que Bouvard et Pécuchet s'attendraient à trouver. Il faudra donc se contenter de ces huit cents pages (chacune divisée en deux colonnes remplies à ras-bord) et des quelque 60 compositeurs et 150 ouvrages qu'elles présentent...
Le parcours, chronologique, court en neuf chapitres de "L'éclosion de l'opéra russe" (datée de 1736) à "Après l'an 2000" - se pliant parfois aux injonctions politiques et stylistiques : par exemple, le legs de Prokofiev se voit réparti en trois "époques" distinctes. Chaque opéra a droit à une fiche précisant les circonstances de sa création, la liste des personnages avec leur tessiture, un résumé de l'action, un aperçu argumenté de la partition, auxquels s'ajoutent, pour les plus considérables, une discographie, des citations musicales, une introduction biographique (un exemple: Borodine et Le Prince Igor, son unique opéra, occupent 26 pages), etc. Une Introduction générale campe en outre le décor, rappelle les circonstances ayant présidé à la naissance de cet art lyrique "national", brosse un aperçu de ses sources, des sujets, thèmes et auteurs sollicités (tout - sauf Shakespeare, ou presque !), des types vocaux privilégiés, des plus importants théâtres, troupes et directeurs.
Lischke ne délaie pas : ayant déjà beaucoup écrit sur la musique de ses ancêtres (voir son Histoire de la musique russe, des origines à la Révolution (2006) ainsi que son merveilleux Tchaïkovski de 1996, tous deux également chez Fayard), il préfère ici condenser. Même si, ouvrant son livre sur des Remerciements adressés, entre autres, aux éditeurs de L'Avant-Scène Opéra (Chantal Cazaux et Michel Pazdro), il n'en admet pas moins avoir été conduit à réutiliser, çà et là, des analyses développées dans notre revue... Mais qui pourrait s'en passer ? En quelques paragraphes lumineux et d'une incroyable densité, il semble tout dire de La Khovanchtchina de Moussorgski (25 pages) ou de Lady Macbeth de Mzensk de Chostakovitch (18). Et connaissez-vous Lolita (1994) de Rodion Chtchedrine ? La Glace et l'Acier (1930) de Vladimir Dechevov ? Ou Ivan Soussanine (1815) - non, pas de Glinka, mais de Catterino Cavos ? Avez-vous entendu parler des compositeurs Lev Knipper (1898-1974), Vassili Pachkévitch (1742-1797) ou Leonid Desiatnikov (né en 1955) ? On vous dit ici tout ce qu'il en faut savoir. Mais, encore une fois, ne réduisons pas ce livre à un dictionnaire : il s'agit aussi de l'ouvrage d'un écrivain, d'un musicologue et d'un passionné, qui n'hésite pas à prendre parti (dommage pour notre cher prince, celui de La Roussalka de Dargomijski, taxé d'"inconsistance pâlotte") et à établir des hiérarchies. Un "Indispensable" dont on ne saurait se passer, comme aurait dit Monsieur de La Palice...
O.R.
Signalons que l'ouvrage a reçu le Prix Georges-Bizet 2017.