Heike Susanne Daum (Odette Darimonde), Rainer Trost (le prince Radjami de Lahore), Anke Vondung (Marietta), Stephan Genz (Napoléon Saint-Cloche), Miljenko Turk (Louis-Philippe La Tourette), Christian Sturm (le comte Armand et le colonel Parker), Dirk Schmitz (Dewa Singh), Ulrich Hielscher (le Directeur de théâtre), Yvonne Kálmán (la Femme du directeur de théâtre). Orchestre et chœur de la WDR de Cologne, dir. Richard Bonynge (2014).
CD CPO 777 982-2. Distr. DistrArt Musique.
Créée avec grand succès au Carltheater de Vienne en décembre 1921, La Bayadère marque une étape significative dans la carrière de Kálmán : en plus d'inaugurer une collaboration fructueuse avec les librettistes Julius Brammer et Alfred Grünwald - qui écriront bientôt pour lui Gräfin Mariza, Die Zirkusprinzessin, Die Herzogin von Chicago et Das Veilchen von Montmartre -, l'œuvre introduit des rythmes nouveaux dans le monde de l'opérette viennoise. À l'aube des Années folles, l'heure est au jazz et aux danses américaines comme le fox-trot, le two-step et le shimmy, dont le troisième acte propose un exemple fameux (duo « Fräulein, woll'n Sie Shimmy tanzen ? »). À cette dimension s'ajoute l'évocation de l'Asie en un exotisme musical qui n'est pas sans rappeler Delibes (l'entrée d'Odette Darimonde s'apparente un peu à l'air des Clochettes de Lakmé), Massenet ou Saint-Saëns. Quant à la bayadère qui donne son nom à l'ouvrage, elle est en fait le rôle que joue Odette dans une opérette présentée au Châtelet. Subjugué par la beauté et le talent de la diva, le prince héritier de Lahore réussira bien évidemment, mais non sans moult difficultés, à en faire son épouse au dénouement.
Dans le rôle-titre, Heike Susanne Daum fait d'abord entendre un timbre bien pointu dans les mélismes orientalisants, puis réussit à donner beaucoup plus de rondeur et de charme à sa voix. De façon assez juste, elle confère un côté légèrement canaille à un personnage qui joue cruellement avec les sentiments du prince Radjami. Ce dernier, qui fut créé par Louis Treumann (le premier Danilo de La Veuve joyeuse), trouve en Rainer Trost un interprète d'un grand raffinement mais à qui manque de l'éclat, du soleil dans la voix et un certain laisser-aller, comme s'il refusait de s'abandonner complètement aux mélodies entêtantes de Kálmán. Autour du couple principal gravite le trio comique constitué de Marietta et de ses deux maris successifs, Louis-Philippe et Napoléon... puis à nouveau Louis-Philippe ! Tous trois sont excellents, en particulier la Marietta à la voix opulente d'Anke Vondung. C'est à elle que revient, en duo avec Miljenko Turk (Louis-Philippe), l'irrésistible shimmy évoqué plus haut. Si les deux chanteurs s'y lancent avec un plaisir contagieux, ils sont réfrénés dans leur ardeur par la direction pesante de Richard Bonynge. Attentif à faire ressortir la rutilance de l'orchestration, le chef adopte trop souvent en contrepartie une battue trop sage. C'est là le principal reproche que l'on peut adresser à cette version par ailleurs très recommandable d'une opérette qui effectue depuis une vingtaine d'années un timide retour sur quelques scènes d'Europe et d'Amérique.
L.B.