Marc Horus (Till), Christina Ratsenböck (Nele), Joachim Goltz (le Prévôt), Hans Peter Scheidegger (Klas), Andras Jankowitsch (Jost), Chœur EntrArteOpera, Orchestre de chambre d'Israël, dir. Martin Sieghart, mise en scène : Roland Schwab (Linz, septembre 2014).
DVD Capriccio C9006. Distribution Outhere.
1913 : l'opéra de Stuttgart voit paraître Ulenspiegel, le second opéra d'un jeune trentenaire. Il fallait oser reprendre le personnage illustré par le poème symphonique radical écrit par Richard Strauss quasiment vingt ans plus tôt. Mais enfin, Braunfels, toujours sensible à la réalité historique, et en quelque sorte contraint par son actualité, ne pouvait pas hésiter un instant devant les frasques du héros picaresque imaginé par Charles de Coster : la Grande Guerre était aux portes, autant y plonger de suite l'assistance. Le jeune musicien eut-il la prescience du trouble qui le saisirait a posteriori ? Il écrivait un opéra sur la résistance flamande protestante à l'occupation catholique espagnole. La guerre passée, il adjurerait son protestantisme pour embrasser l'Eglise de Rome. Quel étrange aller-retour, de l'historique à l'intime, passe dans cet opéra visionnaire que le compositeur délaissa : en 1920, réfugié dans la parabole d'Aristophane, ses Oiseaux le sacreraient génie du nouvel opéra allemand ; ni Prinzessin Brambilla ni Ulenspiegel n'étaient plus possibles, pire, nécessaires. L'auteur laissa la poussière recouvrir la partition et le maigre souvenir resté dans la mémoire des spectateurs s'effaça avec la Seconde Guerre mondiale.
Exhumé des archives, incarné par la scène de Linz, le voici, ce diable d'Ulenspiegel, aspergé à la mode Regietheater, avec un petit côté Blade Runner qui ne lui va pas si mal que cela. C'est gore, on saigne, mais c'est le sujet, historiquement vérifié si je puis dire, et la caméra à l'épaule ne le trahit pas, au contraire. Il faut accepter cette contrainte d'une lecture d'aujourd'hui pour réaliser à quel point Braunfels écrit la musique du théâtre lyrique allemand à venir, enjambant allégrement Richard Strauss : sa verve, son sens des atmosphères, la cruauté de son chant parlando sont déjà ce que seront demain les usages des compositeurs d'après Jonny spielt auf. Alors peu importe la réalisation brouillonne, la mise en scène politique, la troupe vaillante mais confrontée à la mémoire de grands formats vocaux qui ne se trouvent plus guère aujourd'hui, Ulenspiegel est là, devant vous, dévoilant sa sombre épopée, éclairant l'œuvre d'un compositeur majeur de l'Allemagne du XXe siècle, cette captation poursuivant un magnifique projet disco-vidéographique entrepris par Capriccio. Puissent demain nous être montés, filmés, Prinzessin Brambilla, Der Gläserne Berg et Galathea.
J.-C.H.