Paula Murrihy (Orontea), Xavier Sabata (Alidoro), Sebastian Geyer (Creonte), Louise Alder (Silandra), Matthias Rexroth (Corindo), Guy de Mey (Aristea), Juanita Lascarro (Tibrino), Simon Bailey (Gelone), Kateryna Kasper (Giacinta), Katharina Magiera (la Philosophie), Monteverdi Continuo Ensemble, Opern-und Museumorchester de Francfort, dir. Ivor Bolton (live, 2015).

CD Oehms 965. Notice en anglais. Distr. Outhere.

De vingt ans le cadet de Cavalli, Antonio Cesti (1623-1669) aurait pu être, pour le maître vénitien, un challenger redoutable, s'il n'avait été très jeune remarqué par l'archiduc Ferdinand d'Autriche, ce qui l'amena à faire la majeure partie de sa carrière auprès des cours impériales. C'est à lui notamment que l'on doit l'opéra le plus dispendieux de tout le XVIIe siècle, le fameux Pommo d'oro composé pour le mariage de l'empereur Léopold Ier - dont l'ensemble baroque de Riccardo Minasi a récemment pris le nom. Douze ans auparavant, Cesti donnait à Innsbruck cette Orontea (1656) à peine moins célèbre, sur un texte du fantasque Andrea Cicognini. L'on retrouve la patte du librettiste (celui du Giasone de Cavalli) dans cet invraisemblable marivaudage censé se dérouler à la cour d'Egypte, qui mêle de façon très vénitienne Eros, Momus et Thanatos : presque tous les hommes veulent la peau du joli peintre Alidoro, qui fait tourner la tête de toutes les femmes... Musicalement, le style de Cesti apparaît moins profond mais plus « à la mode » que celui de son aîné Cavalli, avec sa profusion d'ariettes et de refrains qui, notamment à l'acte I, pétillent comme du champagne - tandis qu'à l'acte II, la mélancolie s'invite dans la divine berceuse « Intorno all'idol mio » (popularisée par le recueil d'Arie antiche de Parisotti).

Il existait déjà de l'œuvre un bel enregistrement de René Jacobs (Harmonia Mundi, 1982). La présente production, captée sur le vif à Francfort, ne prétend pas au même luxe. La distribution, plus modeste, ne nous permet pas d'entendre des timbres aussi caractérisés que ceux d'Helga Müller Molinari, Isabelle Poulenard ou Gregory Reinhart - bien que l'on retrouve avec plaisir, trente-trois ans après et à peine fanée, la nourrice nymphomane du ténor Guy de Mey ! Si Paula Murrihy, malgré des couleurs passe-partout, et, surtout, Xavier Sabata, tirent fort bien leur épingle du jeu, la plupart des sopranos (Alder, Lascarro, Kasper) s'avèrent trop pointues. Mais la principale erreur de casting réside en Simon Bailey :  ayant remarqué que le rôle du serviteur ivrogne, Gelone, avait été attribué à une basse célèbre pour ses incursions en falsetto (le créateur du rôle « transformiste » de Jupiter dans La Calisto de Cavalli), Ivor Bolton a demandé au baryton d'utiliser la même technique - pour un résultat d'autant plus consternant, la plupart du temps, que « falsettiser » sur des notes de passage ne peut permettre de faire sonner la voix ni ne se justifie musicalement. C'est à peu près le seul reproche que l'on fera à Bolton qui, du reste, s'avère toujours aussi doué pour donner vie au répertoire du XVIIe siècle (son Couronnement de Poppée sur le vif de Munich, par exemple, en atteste) : réalisation exemplaire du Monteverdi Continuo Ensemble (qui utilise avec discernement l'apport des cornets et du lyrone), battue théâtrale, contrastée, moins didactique et appliquée que celle de Jacobs - dans la salle, nous aurions probablement été conquis.

O.R.