Carmen Romeu (Armida), Enea Scala (Rinaldo), Robert McPherson (Gernando/Ubaldo), Dario Schmunck (Geffredo/Carlo), Leonard Bernard (Idraote/Astarotte), Adam Smith (Eustazio), Orchestre symphonique et Chœur de l'Opéra des Flandres, dir. Alberto Zedda, mise en scène: Mariame Clément (Gand, nov. 2015).
DVD Dynamic 37763. Distr. Outhere.Enregistrement sur le vif Opéra de Gand novembre 2015
Du rôle des rôles conçu par Rossini à l'intention de Colbran et qui grâce à Callas initia la renaissance du compositeur serio, on se doute qu'après June Anderson, Renée Fleming ou la superlative Nelly Miricioiu (en concert), la jeune Carmen Romeu, native de Valencia, a bien du mérite à assumer les périls. A Pesaro en 2014, dans une production spectaculaire de Ronconi, cette séduisante mais inexperte artiste osait relever le défi, non sans essuyer une bruyante réprobation en début de soirée. Ce qu'elle nous offre ici n'est toujours pas à la hauteur des enjeux vocaux de l'ouvrage. Et pourtant le vétéran Zedda est à la proue de l'embarcation, visiblement aux anges devant cette musique qu'il chérit et connaît mieux que personne. On ne lui imputera pas les incertitudes du prélude avec cor naturel, l'ensemble des équilibres dynamiques du discours s'avérant ensuite parfaitement pondéré. Pas davantage ne peut-on lui reprocher les incertitudes d'intonation de son héroïne, ses aigus vilainement pointés ou l'application scolaire de sa coloratura. Le duo "Amor possente nome" pâtit de ses faiblesses, moins cependant que le célèbre "D'amor al dolce impero" dont la vocalisation scabreuse est rédhibitoire. Seule l'ardeur mise à affronter la scène finale réhausse les mérites de cette prestation. De la brochette de ténors modestement dotés émerge le Rinaldo d'Enea Scala, qui semble avoir fait grosse impression à la scène. Il nous semble pourtant que cette voix ample sera mieux en situation dans La Juive à venir qu'au cœur de cette partition dont certes il possède l'aplomb et respecte les abandons, mais sans la luminosité de timbre ni l'incandescence qu'on attend d'un rossinien pur jus.
De mise en scène point, sinon le parti-pris de faire évoluer les Croisés au visage ensanglanté sur un terrain de football, parabole sans doute de nos chevaliers des temps modernes, ici en chaleur devant une poupée gonflable, avant que d'installer le couple d'amoureux sur un canapé fleuri du plus pur kitsch. On allait oublier l'inévitable kalachnikov brandie par Idraote, le vieux musulman, coupable stupidité qui, dans le contexte actuel, paraît encore plus regrettable. Comme trop souvent, deux ou trois idées saugrenues auront tenu lieu de dramaturgie et de direction d'acteurs. Par bonheur reste un chef-d'œuvre d'invention musicale et l'aura du cher Alberto.
J.C.