François-Nicolas Geslot (Don Quichotte), Chantal Santon Jeffery (Altisidore, la Reine du Japon), Marc Labonnette (Sancho), Virgile Ancely (Montesinos, Merlin), Corinne Benizio (la Chanteuse espagnole), Gilles Benizio (le Duc), le Concert spirituel, dir. Hervé Niquet, mise en scène : Shirley et Dino (Versailles, février 2015).

DVD Alpha classics, Alpha 711. Distr. Outhere.

C'était en 1988 : pour sa première manifestation publique, le Concert spirituel recréait un Don Quichotte [chez la Duchesse] connu seulement des dictionnaires et dont l'auteur, Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755), ne jouissait plus de la faveur que lui avait value en son temps une vaste production de pièces attrayantes pour les instruments et/ou les voix. Leur large diffusion lui permit, chose rare à l'époque, de vivre de son art en toute indépendance.  Après  lui avoir consacré cinq CD, Hervé Niquet est resté fidèle à cette musique « qui fait du bien » ; en témoigne son choix de représenter à l'Opéra royal de Versailles ce ballet-comique créé à l'Opéra de Paris lors du Carnaval 1743.

Comme pour King Arthur de Purcell, il s'est assuré le concours de Corinne et Gilles Benizio, alias Shirley et Dino, l'une en chanteuse espagnole, l'autre en maître des lieux, deux rôles qui ne figuraient pas dans le livret de Charles-Simon Favart ou, du moins, dans ce qu'il en reste compte tenu de la disparition des dialogues parlés. Aux chœurs, airs et danses de la partition conservée manquait l'ossature d'une intrigue ; elle a été aussi fidèlement reconstituée que le permettait une extrapolation des pages succulentes du roman correspondant à cet épisode où Sancho doit recevoir une terrible bastonnade pour désenchanter Dulcinée. Mais les arrangeurs n'ont pas fait les choses à moitié et, s'ils ont péché, c'est par excès. Loin de la réussite décapante du mask de Purcell, ils tirent à la ligne pour remplir une soirée avec des gags de potaches voire de patronage. Les accidents scéniques ou musicaux qui se voudraient imprévus sont si préparés, à l'évidence, qu'à peine survenus on attend qu'ils finissent. Les évoquer serait raviver ce qu'on veut oublier. Nous devons à l'ardeur musicale d'Hervé Niquet tant de redécouvertes passionnantes qu'on pourrait lui reconnaître le droit de se lâcher dans un cabotinage qui n'est ni de son âge ni de sa classe ; mais comment réprimer la conviction qu'il a mieux à faire ?

Il est vrai que la partition, si bien dotée soit-elle de charme et d'invention piquante, n'est pas assez drôle par elle-même pour satisfaire les spectateurs trompés par le mot « comique » ; vrai aussi qu'une restitution littérale, comme celle du disque de 1996, n'aurait pas passé la rampe et que ce qui fonctionne en salle peut prendre sur l'écran un goût de réchauffé. La distribution est dominée par la présence dramatique et la sûreté vocale de Chantal Santon Jeffery (Altisidore et la Reine du Japon) ainsi que par la beauté du timbre et l'intonation souveraine de Virgile Ancely (Montesinos et Merlin) ; la forte implication des deux héros, Don Quichotte (François-Nicolas Geslot) et Sancho (Marc Labonnette) dans la partie dramatique de leur rôle leur joue des tours lorsqu'ils passent à la voix chantée : la justesse et le phrasé s'en ressentent un peu. Les décors, costumes et éclairages sont séduisants mais, pas plus que l'excellence de l'orchestre, ils ne compensent la faiblesse du projet dramatique.

G.C.