Carlo Allemano (Tito), Nina Bernsteiner (Vitellia), Kate Aldrich (Sesto), Ann-Beth Solvang (Annio), Dana Marbach (Servilia), Marcell Bakonyi (Publio), Chœur et Orchestre de l'Accademia Montis Regalis, dir. Alessandro De Marchi (2014).
CPO 777 870-2. Notice en anglais. Distr. DistrArt Musique.
Commençons par un reproche : ce n'est qu'avec une grande discrétion que le verso du coffret nous met la puce à l'oreille quant à son véritable contenu. Le recto, pour sa part, annonce benoîtement : La clemenza di Tito de Wolfgang Amadeus Mozart. Annonce mensongère. Car c'est à un Tito bien particulier qu'il faut s'attendre : une mouture mitonnée à Vienne en 1804, grâce à laquelle l'ultime opéra de Mozart, d'abord mal reçu (on se souvient de la « porcheria tedesca » décochée par l'impératrice), conquit finalement l'Europe au point de devenir, en ce XIXe siècle naissant, son ouvrage le plus populaire. La modification principale concerne le rôle-titre : les trois airs que lui confiait Mozart, considérés comme passés de mode (ce qu'ils étaient - volontairement), se voient remplacés par trois nouvelles arie et un duo Tito/Sesto dus à Joseph Weigl et Johann Simon Mayr. Si le « Non tradirmi in quest'istante » de ce dernier, belcantiste et concertant, fait un peu pièce rapportée, les pages de Weigl, elles, s'intègrent magnifiquement à la partition mozartienne (« Ah se fosse intorno al trono » citant même le thème du chœur qui précède). Mais les modifications ne s'arrêtent pas là : disparaissent aussi le second air d'Annio et divers récitatifs (dont celui qui ouvre l'opéra) tandis que les lignes mélodiques se voient systématiquement ornées et diminuées, au détriment du style spianato hérité de Gluck (ce qui nous semble affaiblir les deux airs de Sesto). On pourrait s'irriter de ces « aménagements » apportés à une œuvre du divin Wolfgang ainsi que de l'afféterie consistant à bannir le clavier du continuo au profit des seules cordes graves : étrangeté garantie. Mais l'option « dix-neuviémiste » est assumée avec un tel panache qu'on se laisse aisément convaincre, jusqu'à redécouvrir un ouvrage trop souvent empesé par des lectures précautionneuses. La direction mâle, allante, pleine d'énergie et de sensibilité, y est pour beaucoup, ainsi que l'expérience de la scène : jamais le premier finale, les trios ou les récits accompagnés ne nous ont paru si fiévreux, si « vrais » qu'avec De Marchi. En outre, Allemano, en véritable baryténor, endosse avec une irrésistible conviction un rôle désormais alourdi : éloquence, virtuosité, phrasé, richesse du timbre, profondeur du grave et, surtout, émotion palpable, rien ne lui manque ! Bernsteiner, vibrante et consumée, est une Vitellia à peine moins enthousiasmante, tandis que le Sesto solide d'Aldrich, très applaudi, nous a paru un peu monochrome. Entourage correct (à l'exception d'un Publio privé d'italianità), orchestre conforme aux usages du temps (effectifs et instruments) mais ni très charismatique, ni très virtuose. Peu importe: De Marchi et Allemano transcendent durablement une partition très fréquentée mais rarement réussie.
O.R.