Simona Šaturová (Ariane), Zoltán Nagy (Thésée), Baurzhan Anderzhanov (le Minotaure), Abdellah Lasri (Bouroun, le Veilleur), Tijl Vavets (le Vieil Homme), Philharmonie d'Essen, dir. Tomáš Netopil (live août et octobre 2015).
CD Supraphon SU 4205-2. Distr. DistrArt Musique.
Monteverdi, Strauss... mais il y a aussi L'Abandon d'Ariane, l'opéra-minute de Milhaud, puis Ariane, l'opéra lyrique en un acte de Martinů. En 1958, alors qu'il compose La Passion grecque, le compositeur tchèque se tourne de nouveau vers Georges Neveux, vingt ans après la création de Juliette, pour adapter à sa façon Le Voyage de Thésée. Le mythe prend ici un autre visage : le Minotaure devient un double de Thésée qui, en le tuant, tue une part de lui-même. Si l'acte unique s'achève sur l'abandon d'Ariane, son lamento ne relève pas toujours de la déploration : « Si je dois mourir / je mourrai heureuse / car celui que j'aurai aimé / c'est roi Thésée. / Adieu Thésée, adieu ! » Martinu remonte aux sources du baroque, à travers un orchestre de chambre auquel il confie une sinfonia avant chacun des trois tableaux. Loin de tout psittacisme néoclassique, on reconnaît très vite le langage propre à Martinů, sa façon très personnelle d'aménager la tonalité, son goût pour les combinaisons de timbres aussi.
Presque trente ans après Vaclav Neuman à Prague, Tomáš Netopil dirige à Essen une version très équilibrée, fidèle à l'esprit néobaroque de la partition, alors que son prédécesseur proposait une lecture plus acérée, plus « entre-deux guerres », beaucoup plus théâtrale surtout, ce qui le rend préférable. Martinů a écrit le rôle d'Ariane pour un soprano lyrique colorature... en pensant à Maria Callas. Simona Šaturová, comme Celina Lindsley à Prague, assume les vocalises et les suraigus pianissimo de la délaissée, mais la seconde avait une voix plus fruitée, sans acidité du registre haut, et plus de présence. Avantage aussi au Thésée plus vaillant de Norman Phillips, d'autant plus que Zoltán Nagy est, dans la nouvelle version, celui qui se montre le plus étranger à la prosodie française. Or Ariane est un opéra français... De ce point de vue, Abdellah Lasri et Tijl Favets surclassent haut la main, en revanche, leurs rivaux tchèques. Mais le Minotaure de Baurzhan Anderzhanov doit s'incliner devant l'impressionnant Richard Novák. Côté chanteurs, on penche donc plutôt pour la version pragoise.
A la différence de Neuman, Netopil propose un complément, avec en soliste Ivo Kahánek : le fameux Concerto pour deux orchestres à cordes, piano et timbales commandé par Paul Sacher et achevé chez lui. Nous sommes en 1938 et la partition se ressent évidemment des angoisses que les événements suscitent chez le tchèque Martinů à la veille des lâches accords de Munich. Le chef adopte ici aussi un parti pris de classicisme équilibré qui affadit un peu l'œuvre - on en restera donc à la version beaucoup plus tendue, beaucoup plus sombre de Rafael Kubelík, par exemple (Testament).
D.V.M.