Laura Aikin (Marie), Tomasz Konieczny (Stolzius), Tanja Ariane Baumgartner (Charlotte), Daniel Brenna (Desportes), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Pirzel), Boaz Daniel (Eisenhardt), Matthias Klink (le Jeune Comte), Alfred Muff (Wesener), Renée Morloc (la Mère de Stolzius), Gabriela Benackova (la Comtesse de la Roche). Wiener Philharmoniker, dir. Ingo Metzmacher, mise en scène : Alvis Hermanis (Salzbourg 2012).
DVD Euroarts 2072588. Distr. Harmonia Mundi.
Plus encore qu'un orchestre (immense, et souvent apoplectique), que des chanteurs (tous poussés au-delà de leur tessiture et de leur endurance), que d'un metteur en scène, Die Soldaten aura toujours manqué d'un lieu, œuvre de tous les dépassements fatalement à l'étroit dans les petites boîtes de nos théâtres lyriques. Mais cette fois, il est trouvé. Les quarante mètres de largeur du plateau de la Felsenreitschule permettent d'exposer les actions successives ou parallèles en rendant clairs, évidents, leurs moindres détails, tour de force qui devait être encore plus saisissant dans la salle que vu par le biais de la caméra, laquelle doit choisir de montrer d'abord le premier plan dramatique. Peu importe, on sent à chaque instant la suractivité de la régie décidément inspirée d'Alvis Hermanis, qui met tout son monde en costume de l'époque de Jakob Lenz mais dont la direction d'acteur au cordeau fait un théâtre moderne, avec ses excès - beaucoup d'onanisme chez les soldats - et ses avantages : les personnages sont fouillés sans pitié, exposent leur noirceur comme leur fragilité.
Noir de cœur et d'âme, le Desportes ordurier de Daniel Brenna l'est assurément. Dommage qu'il vocifère tant ses falsettos, rendant son empoisonnement par Stolzius pénible autant pour nous que pour lui. La tâche aurait été plus aisée, et le jeu de scène probablement plus percutant, si on avait confié le rôle à Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, cantonné à l'hypocrite Capitaine Pirzel qu'il campe en deux gestes et trois notes avec la maestria qu'on lui connait : décidément un des grands acteurs-chanteurs de sa génération. On reste également sur la réserve devant la Comtesse hululante de Gabriela Benackova, débordée par les exigences vocales de sa partie et un peu trop matrone furieuse : l'idée d'en faire un emploi de caractère et d'ajouter ce rôle au répertoire des monstres sacrés en fin de carrière est une erreur. Mais tout le reste du cast s'avère parfait, à commencer par Laura Aikin qui voit clairement dans le personnage et dans la vocalité de Marie un décalque de Lulu. On admire et l'actrice, expressive, touchante, et la chanteuse, qui jusque dans la colorature fait entendre les mots. La Charlotte rouée de Tanja Ariane Baumgartner ne lui cède en rien, mais l'autre incarnation majeure de la soirée reste le Stolzius de Tomasz Konieczny, amoureux troublant puis vengeur implacable, très proche du personnage initial voulu par Lenz.
Des seconds rôles parfaits, surtout Alfred Muff en Wesener - à la fin de l'opéra, sa rencontre avec Marie qu'il ne reconnaît pas est finement jouée -, une direction d'orchestre qui colle au drame sans oublier une mise en place parfaite (Ingo Metzmacher renouvelle le tour de force que Michael Gielen avait produit à Cologne voici bientôt un demi-siècle), un spectacle qui plus d'une fois coupe le souffle - comme lorsque un double funambule de Marie traverse la scène sur son fil alors que l'interlude du deuxième acte déchaîne son tsunami sonore : oui, décidément, Die Soldaten a enfin trouvé son vrai visage.
J.-C.H.