Katarina Hebelkova (la Reine de Saba), Nuttaporn Thammathi (Assad), Irma Migelic (Sulamith), Karoly Szemerédy (Salomon), Kim-Lilian Strebel (Astaroth), Jin Seok Lee (le Grand-Prêtre), Orchestre Philharmonique de Fribourg, dir. Fabrice Bollon (2015).
CD CPO 555013-2. Notice en anglais. Distr. DistrArt Musique.
Ensorcelé par la Reine de Saba - secondée par sa suivante au nom de démon, Astaroth, qui vocalise dans la nuit -, Assad repousse sa douce fiancée Sulamith, fille du Grand-Prêtre, le jour de leur mariage. Banni par le roi Salomon, il préférera cependant mourir dans le désert entre les bras de Sulamith plutôt que de suivre la Reine en son pays... Tel est le canevas du grand opéra en quatre actes et cinq tableaux que Goldmark, compositeur d'origine juive et hongroise, fait triompher à Vienne le 10 mars 1875. L'œuvre, qui enflamme les scènes européennes et que son thème rapproche de Tannhäuser, a tout pour séduire le public du temps : deux grands ballets, une Entrée de la Reine de Saba digne de la Cléopâtre de Mankiewicz, une tempête de sable, des arias séduisantes (l'ineffable - et très aigu ! - « Magische Töne » d'Assad), diverses cérémonies religieuses inspirées de Meyerbeer et d'Erkel, le prédécesseur hongrois de Goldmark, etc. L'ombre de Berlioz se profile sur le Nocturne et Musique de fête ouvrant l'acte II, celle de Wagner dans l'emploi des leitmotives et les deux grands récits réservés aux rôles principaux, tandis que nombre d'inflexions hébraïques et de chromatismes brossent le décor oriental. Composite, parfois courte de souffle mais richement évocatrice, la musique de Goldmark n'est passée à la postérité que grâce à son fameux Concerto pour violon (1878) et, donc, cette Reine de Saba, le premier de ses six opéras, dont aucune version n'était parue depuis celle d'Adam Fischer (Hungaroton, 1980). C'est pourquoi l'on se réjouit de ce nouvel enregistrement, qui offre une sorte de pendant au précédent : plus cohérent, plus égal, mais moins charmant. Tendue et théâtrale (superbe montée en puissance du IIIe finale), la direction de Fabrice Bollon, à la tête d'un orchestre sujet à de petites défaillances (acte II), l'emporte sur celle de Fischer, davantage tournée vers un langoureux post-romantisme. De même, ses deux protagonistes, le ténor thaïlandais Nuttaporn Thammathi et la mezzo tchèque Katerina Hebelkova, n'affichent pas les mêmes disparités de registres que, respectivement, Siegfried Jerusalem et Klàra Takàcs - dont les timbres, cependant, irradiaient davantage de chaleur et de personnalité. Tel est un peu le problème posé par cette efficace intégrale : les voix, venues des quatre coins du monde, s'y montrent techniquement probantes mais, à l'exception du ravissant soprano d'Irma Migelic, guère marquantes. Il faudra donc conserver les deux versions - mais, après tout, est-ce trop pour un opéra aussi intriguant ?...
O.R.