Mariella Devia (Elisabetta), Marco Caria (Nottingham), Silvia Tro Santafé (Sara), Gregory Kunde (Roberto), Juan Antonio Sanabria (Cecil), Andrea Mastroni (Raleigh), Chœurs et Orchestre du Teatro Real, dir. Bruno Campanella, mise en scène : Alessandro Talevi (Madrid, 2015).

DVD BelAir Classiques BAC130. Argument quadrilingue dont français. Distr. Harmonia Mundi.

La vidéographie de Roberto Devereux n'est pas abondante. Seule jusqu'à présent la captation de la production donnée à Munich en 2005 (Haider/Loy) est parvenue à proposer une alternative à l'éternelle imagerie élisabéthaine qui encombre l'ouvrage plus qu'elle ne l'illustre - depuis les témoignages historiques (Aix-en-Provence 1977) jusqu'aux plus récents (Bergamo 2006). Il s'agit aussi de trouver l'interprète capable de s'emparer du rôle d'Elisabetta et de succéder aux Gencer, Caballé, Sills et autres Kabaivanska s'étant frottées à sa vocalité redoutable comme à son tempérament électrique. La déception est hélas à la mesure de l'attente.

A Madrid en 2015, le metteur en scène Alessandro Talevi nous propose, pendant l'air de Sara, une mygale à contre-jour dans un vivarium opalescent observé par la cour. L'image est belle, le symbole, évident (« attention, danger ») et la trouvaille... orpheline. Car pour une métaphore lourdement filée (Elisabetta arpente peu après le plateau sur fond de parois vitrées translucides derrière lesquelles se profilent de grandes ombres chinoises : la mygale, c'est donc bien elle !), tout reste ensuite sans surprise - une scénographie noire sur laquelle se détache la robe au vermillon éclatant d'Elisabetta - ni puissance - une mise en scène passive et une direction d'acteurs minimaliste. Rien n'émerge jusqu'à l'acte III, où une machinerie gothico-fantastique, mi-fauteuil de torture pour Roberto, mi-trône pour Elisabetta, et quelques têtes empalées sur de hauts pieux semblent vouloir enfin provoquer le frisson... sans y parvenir.

On aurait aimé rendre les armes devant Devia et Kunde, deux artistes admirables. Mais l'Elisabetta de l'une arrive trop tard : le timbre est las, « Ah, ritorna qual ti spero » manque de lumière impatiente et « Quel sangue versato » n'a pas l'impact nécessaire, graves trop écrasés malgré une véhémence dans l'aigu qui tient son rang et une ligne qui est d'une styliste. Le Roberto de l'autre est gris, paraissant aux limites du confort, sans vrai panache ni beauté du timbre ; et pourtant le style est là aussi (voyez les interpolations personnelles de « Bagnato il sen di lagrime »), mais épuisé derrière l'effort. La direction de Bruno Campanella ne parvient pas à transcender ces grands interprètes en méforme : dès l'ouverture (celle, rajoutée pour Paris par Donizetti, qui contient le God Save the Queen) le nerf et la tension disparaissent au profit d'une sagesse roborative qui étouffe ce qui devrait être tornade. On remarque pourtant la très raffinée Sara de Silvia Tro Santafé qui, malgré un époux (le Nottingham de Marco Caria) sans noirceur ni mordant, tire son épingle du jeu par son chant bien timbré et en situation.

C.C.