Andrew Radley (Dorian Gray), Jonathan Best (Lord Henry Wotton), James Bobby (Basil Hallward / James Vane), Jenny Thiele (Sibyl Vane), Bolette Bruno Hansen (la Mère de Sybil / Une prostituée), Aarhus Symphony Orchestra, chœur du Danish National Opera, dir. Joachim Gustafsson, chorégraphie et mise en scène : Marie Brolin-Tani (Aarhus, 22-28 août 2013).
DVD Dacapo 2110415. Synopsis en anglais. Distr. Outhere.
La principale originalité de cet opéra réside dans sa mise en scène chorégraphiée. Passé le nécessaire temps d'accoutumance pendant lequel on ressent comme une gêne le décalage entre les danseurs muets présents sur scène et leur alter ego vocal confiné en fosse - dont on ignorerait jusqu'à la localisation si on n'était, comme le public danois de Aarhus en 2013, dans la salle et non devant un écran -, on commence à apprécier dans ce même décalage son potentiel scénique. Car si l'image - et avec elle la visibilité - du chanteur lyrique en prend en effet un coup, s'il faut s'habituer aussi à la sonorisation assez peu transparente des voix, le fait que la dimension visuelle de la dramaturgie passe par le filtre du geste chorégraphique - et gagne de ce fait un degré supplémentaire de stylisation que ne permet pas la contiguïté physiologique du corps et de la voix du chanteur - permet un discours parallèle entre le récit et son incarnation. On aurait apprécié que la chorégraphe suédoise Marie Brolin-Tani, qui ne s'écarte finalement qu'assez peu de la littéralité descriptive, en exploite davantage les potentielles dissonances, mais l'ouverture de sa palette chorégraphique, renforcée par une vidéo sobre et raffinée (Hobi Jarne), garantit un spectacle attrayant.
Très efficacement condensé et adapté par Alasdair Middleton (par ailleurs librettiste récurrent des œuvres scéniques de Jonathan Dove), le roman d'Oscar Wilde offre ici à Thomas Agerfeldt Olesen un texte dynamique. Le compositeur danois s'en empare avec un certain panache qui réside principalement, pour ne pas dire exclusivement, dans la versatilité de sa musique. Cependant, dans l'alternance plutôt rapide et soutenue de séquences où virevoltent, dans la seule première scène, des références appuyées au postromantisme (celui de Mahler), au classicisme, à l'expressionnisme viennois, à la comédie musicale - un pastiche bien empesé, en fait -, sans oublier quelques clusters et autres dissonances passagères, on ne tarde pas à percevoir une somme de mimiques dont la succession relève davantage du maniérisme que d'un véritable polystylisme. S'ils n'étaient subsumés, pour les raisons pratiques déjà évoquées, en une voix off, les passages parlés nous rapprocheraient de l'esprit du mélodrame. Même le suspens auquel nous soumet, de façon probablement involontaire, le compositeur - quelle est, dans cette alternance aigre-douce de passages tonals et de poussées de tension atonale, la base stylistique de ce langage ? - retombe assez vite, dès qu'il devient patent que ces dernières, minoritaires, se résument à une collection de clichés de la « musique contemporaine ».
À quelques maladresses près (les coups de bassin explicites et leur côté bad boy passablement artificiel, la chemise trempée de Dorian, peu glamour, que les plans rapprochés ne pardonnent pas), la chorégraphie absorbe une partie des débordements musicaux. Les quelques moments où l'orchestration gagne en subtilité nous permettent du même coup d'apprécier la finesse de l'orchestre symphonique d'Aarhus et de regretter de le voir cantonné le reste du temps dans des textures roboratives (une citation du Trio en ré mineur de Mendelssohn enturbannée dans des guirlandes chromatiques, des pseudo-adagios mahlériens chatouillés par de légers pépiements des cordes, des arias pseudo-baroques pimentées par quelques dissonances ou encore un big band massif). Malgré son penchant affirmé pour la parodie, on peut reconnaître à Thomas Agerfeldt Olesen une manifeste aisance avec l'écriture vocale. Le plateau (ou plutôt la fosse) réuni dans cette production est très convaincant ; outre les qualités individuelles, la complémentarité des timbres et registres (contre-ténor pour Dorian, basse pour Harry et ténor pour Basil) est, sinon originale, au moins plaisante. Pas davantage pionnier, le recours à la chanteuse folk Jenny Thiele pour incarner vocalement l'actrice Sybil Vane apporte au personnage une pertinente aura surhumaine.
Presque quatre décennies après le Dorian Gray de Hans Cox, cette nouvelle tentative d'en faire un opéra marquant - peut-être une fausse bonne idée - nous déçoit de nouveau, pour d'autres raisons.
P.R.