Charles Castronovo (Faust), Ildar Abdrazakov (Mephistophélès), Irina Lungu (Marguerite), Vasilij Ladjuk (Valentin), Ketevan Kemoklidze (Siébel), Samantha Korbey (Marthe), Paolo Maria Orecchia (Wagner), Chœurs et Orchestre du Teatro Regio, dir. Gianandrea Noseda, mise en scène : Stefano Poda (Turin, 2015).

DVD Cmajor - Unitel Classica 735108. Distr. Harmonia Mundi.

Déception que ce Faust pourtant précédé d'excellentes critiques lors de son apparition sur la scène du Teatro Regio de Turin l'an dernier. Si le spectacle est en lui même de fort belle facture, si la direction d'orchestre est tout simplement magnifique, le chant et le français sortent plus victimes que vainqueurs du traitement que leur inflige une distribution assez médiocre ou même inadaptée.

Le seul à offrir une prestation digne de l'œuvre, c'est en fait Charles Castronovo. L'élégance du chant, plus tourné vers de fort belles demi-teintes que vers une vaillance inopportune, le style, excellent même si l'articulation reste parfois un peu floue, le physique même (on peut rarement voir un Faust torse nu) et l'acteur, plus engagé que souvent, sont ici d'un Faust de belle classe, même s'il n'est pas le premier d'aujourd'hui. On n'aura pas le même plaisir à écouter Irina Lungu, voix slave triste de timbre, sans vrai éclat, qui tend à prendre les sons par en dessous, chante avec un instrument très différent selon qu'il s'agit d'élégie ou d'emportement et laisse surtout plafonner trop souvent un aigu sans rayonnement aucun. Elle a certes le ton du personnage, mais ne le l'investit en rien du charme irrésistiblement fragile qu'on y attend. Ildar Abdrazakov n'a pas de peine à dominer son Méphisto mais c'est la classe du chant qui manque - l'articulation laissant place au mâchonné - et plus encore un vrai grave profond. Si on peut le considérer comme un sous-Ghiaurov, on est cependant très au dessus des Valentin, Siébel et autre Marthe... Quant aux chœurs, ils pratiquent un sabir que ne sauvera pas une prestation majeure. Reste donc la direction de Gianandrea Noseda, magnifique : il cultive un sens exact de cette musique si apte à sombrer dans la lourdeur et la fausse pompe, qu'il traite avec une légèreté de touche constante, un sens des masses en équilibre, une lumière qui à elle seule devient force et envolée, grandeur et naïveté, qu'un orchestre subjugué rend au mieux de ses possibilités.

Reste aussi la production, très esthétique, simple et sophistiquée à la fois. Trônant au milieu d'un espace nu fermé sur trois côtés par des parois de béton clair, un énorme anneau de pierre posé sur une tournette en est l'élément central. Leur mobilité commune - il peut se lever tout en tournant avec elle - rend la variété des images suffisante pour la narration, d'autant qu'elle est intelligemment complétée par quelques éléments plus naturalistes - un amoncellement de livres, des troncs blancs tordus à la japonaise, une croix de lumière en réserve découpée -, le tout savamment magnifié par de très beaux éclairages. Pas de relecture radicale ni de mise en abyme contemporaine, pas d'interprétation sidérante, mais de belles images aux matières superbement rendues par la captation, qui vont bien avec cette belle musique. Pour les vertiges de l'œuvre, on ira à McVicar à Londres avec une distribution autrement adéquate, ou bien on cherchera à pirater la version Lavelli que l'INA s'obstine à ne pas publier - ce qui reste un devoir toujours prioritaire.

P.F.