DVD Sony 88985308909. Synopsis en anglais. Distr. Sony.
La vidéographie d'Otello est abondante (voir L'ASO n° 218 et la comparaison critique réalisée par Pierre Flinois) et documente aussi bien les plus grands interprètes du rôle-titre (Del Monaco, Vickers, Domingo) que des réalisations ayant marqué leur temps, de Franco Zeffirelli (scène et écran) à Elijah Moshinsky. La production de ce dernier, créée à Londres en 1987, fut captée trois fois dont deux au Met - la dernière remontant à 2012 (DVD Decca, avec Johan Botha et Renée Fleming, dir. Semyon Bychkov).
En 2015, le Met décidait donc de monter une nouvelle production - rapidement auréolée d'une polémique autour de la décision « politiquement correcte » de ne plus maquiller l'interprète d'Otello en noir. Est-ce donc sa dramaturgie ou sa mise en scène qui fait le prix de cette nouvelle réalisation et de ce DVD ? Point. Bartlett Sher transpose certes l'action au XIXe siècle, mais sans que le drame en soit avivé ou renouvelé : seule la noirceur des costumes (les redingotes et tenues militaires déteignent sur les robes féminines) contribue à une atmosphère où les lumières de Donald Holder jouent sur les décors translucides d'Es Devlin dans un effet crépusculaire parfois très réussi. Mais il aurait fallu un point de vue saillant - quand ici domine une conception hédoniste des tableaux -, et surtout une direction d'acteurs exigeante et créative, capable d'animer l'Otello désespérément extérieur d'Antonenko.
Le Letton est pourtant l'un des rares aujourd'hui à pouvoir affronter crânement (pire : placidement !) l'« Esultate ! » et l'écriture assassine de ce rôle. Seulement voilà (comme dirait l'ami Merlin) : outre de petites failles d'intonation sensibles en cette soirée du 17 octobre 2015, son chant égal, sûr, maîtrisé, se pose sur une présence scénique où ne s'esquissent qu'à peine la rage du chef à demi-respecté, la passion amoureuse ou la folie jalouse. Même regret pour le Iago de Zeljko Lucic qu'on a connu autrement impliqué (notamment en Macbeth) : à force de soigner son chant et de se refuser tout excès, il offre ici un timbre terne ayant perdu tout mordant et une neutralité expressive qui confine à l'ennui. Un comble !
On se rattrapera avec l'admirable Desdemona de Sonya Yoncheva : timbre lumineux et charnu à la fois, style infaillible avec des phrasés de toute beauté, un naturel du chant qui semble s'exhaler en un souffle d'âme aux couleurs changeantes. Le personnage est finement investi et c'est pour elle qu'on chérira ce DVD. Egalement pour la direction de Yannick Nézet-Séguin : sept mois et demi avant sa nomination au poste de directeur musical du Met en succession de James Levine, le Québécois cisèle un Otello analytique autant que plastique. Le Prélude surprend d'abord, qui préfère les transparences atmosphériques aux noirceurs d'ouragan, mais les reptations du mal sont ensuite saisissantes et ourdissent en fosse un drame prenant. Dommage que la scène l'affadisse - Desdemona exceptée.
C.C.