CD CPO 777 819-2. Présentation et livret : allemand et anglais. Distr. DistrArt Musique.
Ecrit en 1913 mais créé seulement en 2010 (voir la captation vidéo du spectacle chroniquée dans L'ASO n° 276), Gisei - Das Opfer est le premier ouvrage lyrique d'un compositeur qui serait célébré pour son style propre dès la fin des années trente : Carmina Burana et ses avatars des Trionfi, ses comédies Der Mond, Die Kluge puis ses tragédies grecques (Antigonae, Œdipus, Prometheus) offriront un univers cohérent, insensible aux variations des modes du temps des révolutions musicales du XXe siècle. Orff lui-même aura renié, par souci d'unité stylistique, tout ce qui précédait l'incontestable succès populaire des Carmina Burana. Mais Gisei le fut dès l'année de sa composition suite aux observations des professeurs de l'Akademie der Tonkunst de Munich.
Certes, c'est là la musique d'un compositeur de dix-huit ans extrêmement doué, mais toujours sous influence de Wagner, plus encore de Strauss, et surtout de Debussy et de Puccini. Ni l'orchestre postromantique, très développé mais fortement impressionniste, ni le traitement des voix dans la mouvance du vérisme, ne laissent présager le style futur du « compositeur de la simplification », hors quelques instants de déclamation parlée ou chantée. De même, l'exotisme à la mode du sujet (un drame japonais monstrueux, comme on les aimait à l'époque, où un couple sacrifie son propre enfant pour en sauver un autre bien plus important pour l'avenir du pays), sans qu'il transparaisse dans un orientalisme musical quelconque, ne laisse rien pressentir de cette rythmique efficace qui sera plus tard la signature du compositeur bavarois. Si Orff considéra finalement que cet exercice d'étudiant n'avait plus sa place au sortir du premier conflit mondial dans l'extraordinaire dispersion stylistique de la musique allemande d'alors, Gisei - Das Opfer reste un drame bien construit, efficace dans sa tension, bien mené dans ses ambiances et ses effets musicaux. C'est là une curiosité, certes, mais pas un ouvrage de second rang face à tant d'autres œuvres qu'on fait revenir parfois au répertoire avant de les oublier à nouveau.
Deux ans après la création à Darmstadt, la Deutsche Oper de Berlin en montait une version de concert. Sous la baguette précise et très réaliste de Jacques Lacombe, plus rapide de fait mais pas d'impression que celle de la version de Constantin Trinks (DVD Wergo), le drame tend peu à peu les effluves morbides et la charge émotionnelle typiques de l'époque vériste. Comme pour le DVD, l'équipe vocale, avec des noms de premier plan comme Ryan McKinny, Elena Zhidkova et Burkhard Ulrich, est impeccable. Mais là encore, l'œuvre ne tentera vraiment que le curieux de tout.
P.F.