CD Alpha 242. Distr. Outhere.
A l'été 2015, L'Enlèvement au sérail faisait scandale au Festival d'Aix-en-Provence à cause de la production de Martin Kusej, malgré l'injonction faite par le directeur Bernard Foccroulle au metteur en scène autrichien de renoncer à deux effets scéniques jugés trop choquants dans le contexte des attentats de l'époque : un drapeau de Daech et une décapitation. Dans ce contexte, l'attention avait été largement détournée de la musique, d'autant que le rythme et la lettre des dialogues était largement modifiés. Dans cette atmosphère électrique, on avait senti l'orchestre déstabilisé : on reconnaissait bien les options musicales de Jérémie Rhorer, que nous tenons depuis longtemps pour un des meilleurs interprètes actuels des opéras de Mozart, mais le Freiburger Barockorchester sonnait complètement éteint. Nous nous étions dit alors que nous aimerions réentendre le chef français dans des conditions plus favorables, et si possible avec son propre orchestre, le Cercle de l'Harmonie. Cela se produisit quelques semaines après, en version de concert au Théâtre des Champs-Elysées, et c'est cette soirée qui se trouve reproduite sur les présents disques, au risque d'immortaliser aussi les imperfections du direct.
Sans surprise, c'est une version de chef. Sans se sentir dépossédé de ses attributions de maître d'œuvre par un metteur en scène inflexible, Rhorer peut défendre sa vision selon laquelle, à l'opéra, le compositeur est son propre dramaturge. De fait, si l'on apprécie particulièrement son interprétation, c'est pour la logique évidente et la fluidité permanente de ses enchaînements de tempi, l'une des clés de voûte de la réussite musicale d'un opéra de Mozart. On avait trouvé dans L'Enlèvement Nézet-Séguin classique mais un peu sage, René Jacobs passionnant mais un peu outré (lire ici) : Rhorer tient les deux plateaux de la balance en bon équilibre, sa direction pétille sans négliger la profondeur.
De la distribution d'Aix, on retrouve en haut de l'affiche Jane Archibald, splendide Constance dont la virtuosité n'oublie jamais la noblesse. On sera plus réservé sur la Blonde de Rachel Gilmore, habile et piquante mais acidulée dans un aigu très tendu. L'autre valet, David Portillo, est un Pedrillo élégant. L'Osmin de Mischa Schelomianski a plus de fraîcheur vocale mais moins de présence que Franz-Josef Selig à Aix, et c'est surtout côté ténor que l'on y perd, Norman Reinhardt n'ayant pas le rayonnement des grands Belmonte, quel que soit son grand scrupule stylistique. Une version de chef, donc, où le travail d'équipe l'emporte sur les individualités.
C.M.